Tilt House - Samedi 3 juillet - 13 h 20.



White était déconcerté. Déconcerté et furieux. Ce qui se manifestait chez lui par une crispation des maxillaires et un regard tendu, machinalement braqué sur Dundle et Class qui s'éloignaient.
Debout à l'avant du Chris-Craft, Ford amarra l'embarcation. White bondit sur le ponton et, se ravisant, sauta dans le canot, ordonnant à Ford de le conduire de l'autre côté du lac, au ponton de Butch. Le bateau se cabra et s'éloigna de la rive. White le dos tourné à Tilt House distingua un nuage de poussière sur le chemin d'accès du territoire. La limousine présidentielle des Jack faisait une entrée explosive dans la cour de l'usine.
Tandis que le canot gagnait le large, White avait tout le temps d'observer une série d'événements simultanés, de tous les côtés à la fois. Après l'arrivée des Jack, ce fut sur la gauche, du côté des bois, deux hommes qui filaient à toute allure vers l'usine, suivis par deux statues de glaise que White ne parvint pas à identifier. Devant lui, la voiture des Jack s'immobilisait à peine, qu'une deuxième, puis deux autres automobiles stoppèrent dans la cour. En descendirent pêle-mêle, le shérif Warms, le maire Farrow, une inconnue, le shérif adjoint Renucci. Le canot approchait du ponton, Ford réduisit la vitesse, les deux statues de terre passèrent devant eux, White reconnut les deux hommes qu'elles poursuivaient, William Farrow et son ami inutile. Les deux garçons filaient et se jetèrent dans la voiture de Morgenstern contre les portes de laquelle les poursuivants vinrent s'écraser. Sous le choc, la carapace de terre s'effondra, Sandy et Bison Rose reprirent forme humaine.

Ils hurlaient les conneries habituelles.
"Au nom de..."
Morgenstern n'aimait pas les auto-stoppeurs, de plus il préférait se casser le poignet plutôt qu'on lui force la main. Dans sa voiture, il s'était aménagé un certain confort qui lui permettait de prendre ses repas sans être mélangé aux autres.
De peur, Majorie fit sauter la planche qui servait de plateau pour le Chili con carne. Elle poussa un hurlement hystérique lorsqu'elle se tourna vers Franck. Une bouillie rouge de sauce tomate lui dégoulinait sur le visage. Franck en se tournant vers les deux fugitifs, racla les haricots rouges qui tachait son costume neuf. Il tremblait de rage. Son nez se heurta à l'arme de William. Trent avait réussit à introduire le canon de son fusil dans la bouche de Majorie, elle essayait encore de parler. Deux visages terreux collés à la vitre hurlaient des ultimatums. Sandy et Bison rose se poussaient mutuellement. Ils devaient avoir perdu leurs armes, ils menaçaient de leur poing. Voyant la situation Sandy comprit que les menaces armées des deux dingues n'étaient pas des blagues d'écoliers. Il avait l'habitude des criminels et sous ses yeux il avait les spécimens les plus convaincants. Il recula, tirant Bison Rose par la chemise car celui-ci manifestait encore quelques velléités.

White mit pied à terre et s'engagea résolument dans l'escalier qui menait à la maison des Butch. Parvenu au sommet, il se retourna pour jeter un coup d'oeil derrière lui, en contrebas. Le cortège dérisoire, les quatre Jack en tête, Farrow fermant la marche, trottinait le long de la rive.
White frappa à la porte. Angie vint ouvrir.
"Mister White ! Quelle surprise !"
"Je veux voir Butch ! Et ne me dites pas qu'il travaille, je dois le voir !"
"Bienvenue à Tilt House."
"Vous avez 24 heures pour évacuer les lieux !"
Surpris par l'absence de réaction de Butch, White se tut. Butch lui tournait le dos, et fourrageait dans une pile de dossiers. Un homme devant la fenêtre, souriait.
"Cherchez pas vos paperasses, elles sont sans valeur. Un contrat n'est valable que lorsque les deux partenaires en respectent les clauses. Et je n'ai pas l'intention de les respecter."
"Mister White, je ne vous donne pas 24 heures pour partir, mais trente secondes..."
"Puisque vous le prenez ainsi, venez ici ! Je sais que légalement je n'ai pas le droit d'agir ainsi, c'est pourquoi je vous propose un arrangement. Votre prix sera le mien, à moins que vous préféreriez un chèque en blanc ?"
"Mister White, il vous reste quinze secondes..."
"Je me doutais que vous feriez des difficultés, aussi j'ai pris mes précautions. Les Jack sont en bas! Ne pensez-vous pas que nous devrions nous entendre ? Nous avons tenu aussi longtemps que nous le pouvions, mais la patience a des limites. Ficelez vos paquets et déguerpissez, loin d'ici. C'est tout ce que je vous demande !"
"Le temps est écoulé, Mister White ! Dehors !"
"Hé vous là-bas, vous voyez, cet homme utilise la violence contre son propriétaire !"

Nach n'en pouvait plus de cette bouffonnerie, il éclata de rire. Ils se retrouvèrent dehors, Angie sur leurs talons.
En voyant leur patron en mauvaise posture, les Jack pointèrent leurs armes sur Butch. Au bas des marches, Warms et Farrow attendaient sagement. Warms leva les mains en signe d'apaisement.
"Rengainez moi tout ça !"
"Warms vous avez du mal à faire respecter la loi !"
"C'est ce que je fais, Butch ! Vous, White faites partir vos guignols sans histoire !"
"Dites, Shérif, vous n'avez rien à faire ici, sans mandat, c'est une propriété privée !"
"Désolée, Angie, ce n'est plus une propriété privée dès qu'elle abrite des criminels !"
"Arrêtes tes conneries, Warms, tu sais aussi bien que moi qu'il n'y a pas de criminels, ici, sauf ces minables et leur commanditaire. Tu peux emballer tout ceux qui n'habitent pas Tilt House."
"Je t'en veux pas, Butch, mais tu dois cesser d'abriter des criminels."

Farrow avait l'habitude de ces paroles de justice, mais il s'inquiéta aux derniers mots prononcés. Il n'était pas au courant des intentions du shérif. Quand Warms parlait de criminels, il se sentait directement concerné.
"Tu sais bien, Warms, que ce n'est pas William qui a fait le coup. C'est ce type, là-bas, dans sa voiture. Celui qui essaie d'acheter des pneus pour les revendre deux fois plus chers, avec l'argent de Dave..."
"Tu te trompes, Farrow, moi aussi j'ai cru qu'il était coupable. Mais les résultats de l'enquête sont formels. Ton fils et son copain ont assassinés Dave Greenburg."
"Ca t'arrange, d'abord mon permis, maintenant mon fils. Tu veux pas ma femme en prime, espèce d'enfoiré ?"
"Garde ton calme, tu vas en avoir besoin ! Je croyais qu'on était d'accord !"
"A quel sujet ?"
"Tu le sais aussi bien que moi, fils de pute, mettre Butch en infraction !"
"Où est mon fils, je veux le voir, je veux lui parler !"
Warms désigna la voiture où s'étaient réfugiés William et Trent.
Warms et White suivirent Farrow.
"Les autres, vous ne bougez pas d'ici ! Toi aussi, Butch !"
"Vous êtes aux ordres de White, Shérif ! Vous êtes d'accord pour nous faire garder par ses hommes !"
"Je manque de personnel, alors je les engage comme suppléants !"
Les Jack étaient pliés de rire. ils ne s'y attendaient pas.
Warms et son groupe avancèrent vers la voiture de Morgenstern.
"William, c'est papa, c'est moi ! Nous devons avoir une petite conversation. Il y a longtemps que nous n'avons pas eu de conversation ensemble."
"Dis à Warms de nous laisser partir !"
"Ils ne bougeront pas d'ici ! Et comme nous ne sommes pas assez nombreux, je vais faire appel à la garde nationale."
"C'est une blague chef, on est six pour venir à bout de ces gamins !"
"Ta gueule Renucci. A un mètre dans un clapier, tu loupes un lapin. Il me faut des tireurs d'élite ! Et la garde pour faire évacuer ce repaire d'assassins."
Il se dirigea vers sa voiture pour demander l'appui de la garde.
Macho faisait partie des quelques curieux venus regarder la scène. Les communautés de Tilt House ignoraient encore les événements, même les Sam.
Farrow sourit en pensant au bordel que ce fils de pute était en train de déclencher. Dès que les six mille personnes vivant à Tilt House connaîtraient l'intention de Warms de faire intervenir la garde nationale pour les déloger. Cela l'émoustillait. Il en était arrivé au point qu'il se fichait pas mal du sort de William, pourvu que Warms ait un putain de merdier sur les bras.
Sandy, Bison Rose et Renucci prirent position autour de la voiture de Morgenstern. Ils entendaient la voix geignarde de Majorie qui voulait aller pisser. William et Trent se marraient, encore...

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