High Way - Samedi 3 juillet - 11 h 45.



La chaleur, sa chemise collait.
Renucci avait garé sa voiture le long du High Way. Il demeura un instant prostré, la tête posée contre les bras appuyés sur le volant. Il pensait à la dégradation publique que lui avait fait subir Warms lorsqu'il lui avait annoncé son échec. Il était décidé à ne plus penser à rien du tout, puisque de toute manière, il fallait que quelqu'un porte le chapeau. Il se résigna à démarrer et, s'engageant sur la route découvrit sous l'arbre qui lui faisait face, Albert. Recroquevillé, bien au frais. Albert était flanqué des insignes de sa fonction, un balai et un seau monté sur des roulettes. Renucci se gara près de lui. Albert leva les yeux vers lui.
"Alors, tu attends le déluge ?"
"M'en vais, Monsieur Steve. Et vous savez pourquoi, je m'en vais ? Vous le voyez ce papier bleu, ce bout de prospectus ? Tous les jours je le ramasse. Tous les jours je le retrouve à un endroit différent. Il est comme ça Albert. C'est pour ça qu'il s'en va Albert."
Renucci soupira.
"Mais que va-t-on devenir sans toi à Spencer City, mon pauvre Albert ? Qui va nettoyer les rues ? Hein?"
Deux grosses larmes coulaient sur les joues d'Albert.
"Je sais bien, Monsieur Steve, moi aussi j'aurai voulu rester et continuer à faire mon travail. Ramasser les papiers, nettoyer les rues et rapporter tout ça à Monsieur le Maire."
"Et alors ?"
"Et alors, c'est à cause de ce papier bleu. Albert, il tout compris le jour où il a vu Monsieur le Maire jeter par la fenêtre le seau de papier que je lui avait remis. Tous les papiers et ce papier bleu. Et ça repartait dans tous les sens, dans toutes les rues."
"Je ne vois pas pourquoi tu te mets dans un pareil état à cause d'un bout de papier ?"
Steve Renucci s'étonnait.
"Albert, il est comme ça, Monsieur Steve. Il peut pas changer. Il aime le travail bien fait. C'est pas pour l'argent, c'est pour l'amour du travail bien fait. Et si Monsieur le Maire y peut pas comprendre, alors Albert, il s'en va."
Albert avait un air si misérable que Renucci se serait bien laissé aller à rire. Mais des bouffées de sa propre situation lui revinrent en mémoire. Il se demandait s'il ne devait pas raconter son histoire au balayeur. Seule l'idée qu'Albert se moque de lui, l'arrêta.
"Et tu pars pour où ?"
"Je vais là où on a besoin de moi. A Tilt House."

Deux voitures de police passaient pour la deuxième fois sur la petite route du haut. Vu leur vitesse, Steve pensait qu'elles rejoignaient les lieux d'un accident. Mais là, il reconnut l'une d'elles pour celle de Sandy.
"Ces salauds, ils s'amusent à faire la course avec les gars du comté d'à côté !"
Il sourit méchamment. Il le dirait à Warms en rentrant. Steve Renucci disait toujours la vérité. Celle des autres.
Il y avait du monde dans ce coin désert. Le pèlerin du Cheops Motel marchait d'un pas régulier dans sa direction. Ce garçon de course de la philosophie souriait toujours. Deux ans auparavant, Renucci l'aurait arrêté pour vagabondage.
"Les gens de Spencer City ont beaucoup changé ! Quelle chaleur !"

©1999 jpr kraffe