DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE UN
Alors quoi, encore ?
Sattraper mal au ventre à écouter un fleuve charrier la rumeur du petit bal musette dun soir dautomne,
sattraper mal aux tripes à surprendre le rire grinçant des grincheux,
se tordre les entrailles,
à sen liquéfier,
à sen répandre,
à avaler
et déglutir
cette idée sombre :
il faut quitter lEther.
Et quoi dautre ?
Sétendre à la recherche dune pause apaisante sur lun des transats du pont de la Blanche Galère amarrée au ponton,
quitter des yeux les mats étincelé, leurs roulis écoeurants,
clore les paupières et pester :
de combien dironies lEther aura-t-il dû user pour traîner dinconformes messies dune Blanche Bâtisse à une Blanche Galère ?
Aucun calcul de lEther neut eu autant de portée si lAnge et Sarzeau ne sétaient rendus à ses fourberies.
Cest une rédition à la fin de leur cavale : face au rang serré des baïonnettes noires dune belliqueuse réalité victorieuse de leur citadelle astrale,
Judith et Jeannot ont baissé les bras.
Las,
fourbus en somme :
il faut reconnaître leur défaite.
Alors quoi ?
Pourquoi tergiverser plus avant sur cet inévitable retour dexil ? Pour quoi regretter la fin de lAnneau puisque on ny peut plus vivre aucun paradis ?
Depuis que Judith a exprimé le désir quils cessent de fuir et quils sinstallent en ce coin de septembre
- à une courbe de lAnneau située entre la dix-neuvième et la vingtième année de leur vie commune -
leur existence sétale nonchalante sur un long dimanche dautomne.
Comme si les mois davant
- en amont du fleuve -
avaient été de furieux samedis soir,
appelant dés à leur lendemain le repos et le calme.
Leurs petites humeurs du dimanche matin,
tenailles douloureuses aux tempes,
intestins gargouillants,
langue pâteuse,
rides,
cernes,
selles infectes,
urines blanches,
paroles fainéantes,
puanteurs traînées,
tics nerveux, irritations,
tout cela provoque lélision progressive de la passion.
Lamour fatigué sendort avec eux après le tendre rituel de leurs conjugaisons amantines. Ils ne rêvent plus ensemble, mais lun auprès de lautre,
ils ne se content plus à coeur ouvert les rêves de leurs sommes.
Ils sont parfois inavouables, même au plus proche des êtres :
il y a peu, Judith sest vue en songe accomplir les Prophéties, donner à Jean ce traître baiser sous le couvert de lAmour.
Récemment, père et Jean ont visité Jeannot et ils lui ont dit quil était temps. Il a vu au cour de ce songe le Flingue peser dans la poche de sa gabardine,
il sen est inquiété pour la première fois depuis vingt ans.
Alors ils ont essayé, lui le premier, de se mentir.
Echec foudroyant,
domaine de leur première dispute,
oh,
fissure à peine visible,
doù naîtra toutefois la faille sur la façade de lédifice.
Mais encore ?
Sattraper mal au bide à écouter des bidons de vide sentrechoquer sur le flot sombre de ses souvenirs.
Froisser son beau costume blanc à se coucher avec,
penser à lennemi, à ce quen disait Jean den haut,
aux allusions du double cosmique à propos des racines de lEmpereur des lézards,
secret que Jean cacha si longtemps derrière sa joie folichonne,
clownesque illusion dont il fit son métier en Ether.
Cest que,
dés après les clôtures du beau jardin planté de rosiers en contrebas de la Blanche Bâtisse,
dés alors quils décidèrent de transgresser les déterminations sanglantes des Prophéties,
Jean apprit le mot "occulte",
son sens commun,
son sens secret,
sa portée et son emploi.
Maestro occultiste par nature,
il fit pour lAnge une route à sa manière,
vallonnée à souhait,
mosaïque dodeurs par-dessus les volumes,
de couleurs aussi diverses en genre quen nombre
et tout au bout de la palette du peintre enchanté,
une forêt si bien faite quil en fut lui-même surpris.
Sarzeau se demanda à cette occasion et pour la première fois depuis le début de leur fuite, si lon agissait pas au travers de lui pour le compte de quelque entité supérieure.
Mais au fur et à mesure quils pénètrent dans la pénombre du sous-bois, Jeannot décèle sa marque propre, sa patte à lui,
il reconnaît là quelques endroits enfouis de ses rêves denfant,
les être des contes,
gnomes et gobelins transformés pour les besoins de la forme en ce lutinant Vert-Peule dici.
Leur Pastoï, cest le babillage des gamins du faubourg donné comme langue aux êtres de son tableau.
Surprise :
où lon apprend la vivacité de nos songes oubliés en un coin dEther. Ils ne meurent jamais, occultés simplement par dautres pensées, dautres raisons, irrationnelles quoiquon en dise, tout comme ces jeux de gosses, mais barbouillés dalibis et habillés de vaines logiques.
Autre surprise :
sous le couvert dun fourré,
allongés au bon plaisir de leurs caresses
- cest la millième pause-passion quils prennent depuis le départ -
nus,
car Judith à dit :
- De quoi sert-il, charmant aimeur, denchâsser nos frusques à chaque départ sil faut sen défaire à larrêt daprès ?
Avec leur chemise choit à terre lalibi de la Belle dans la moquerie de lamant :
- Que de comédie, ma doucelle ! La vérité, cest quà chaque instant tu veux me voir aller nu et regarder mon phallus ballant qui tabreuve didées pécheresses...
- Beau discoureur ! sécrie les lèvres de la Belle qui rient, parlent et embrassent dun même élan.
Si bien quà nouveau, ils roulent ensemble sur un tapis de mousse,
prenant juste garde dépargner la paire dailes blanches apparue au bas des douces épaules de lAnge blond.
- Toi aussi, dit son chant, tu veux me voir aller nue afin que sénerve ton bel enchose dune ondulation de ma blonde poilure !
- Tais-toi,
cest le perpétuel dernier mot de Jean,
tais-toi par deux fois,
cest sembrasser sûrement.
Ils roulent,
boulent,
cette fois jusquau bas de la pente,
au risque demboutir quelque tronc dun feuillu magistral, recueillis par un lit de fougère tout exprès planté là,
environnés dune nuit claire où juste un coin de canular-nimbus vient corner le disque lunaire.
Sans plus tarder,
les armousins senlacent,
sans être inquiets de leurs environs, à savoir si lon est en bois habités...
Parloi ! Viendez compissions enjoyer de vos visyeux dégayances noctives!
Encouchez de les enfantins, nonestre bonistoire porouiceux, cestre avraiparloi cochoncin tasoué !
Dévoyez donzelles de vos pourpreurs, céquyadu palpisme endelair, malignant endeles dogois devos armousins,
galirçons viendez sacroire lenfaçon de goulisser quelquouicelle,
quar bien syprenndre dalincher enle tatindru,
daboiver sa gouliche aux goulavres dembelle,
doigontiller enle bilic frisillant,
dagoulicher parou deles babouillis replichés !
Agardez, gédouline !
Rag !
Ultime soufflance tombelles phalloises,
comprendre désecondes icelui depar lenchose,
apompir ces gilisses,
ouissez, ça ragage !
Oh !
Pisencore louver linguette ende galandules chatoules,
rag,
moitons dupérus,
patrissonage dunsein apleinpoignon,
ô rag,
nyplus entenir, ôdema doucelle, flamboy denvouloir,
oulahlah,
viendez galarçons paiser des miaulisses deles galarcelles,
miaw !
Ouigardez dele Vert-Peuple saffondre desa flamelle propre quandis sexplit lexcit !
Crudulances pareillement deces strangereux armousins estre bientissôt queluntas denjambelles fessues,
dempoilures justement goulavées,
denjambures cavamillantes,
dauquelun pourroi distinguer sa chaquelune deson chaquelun ?
Noquoi pourroi !
Parmains et dixeins, encrouper cequi sempasse,
prendre,
croquigner deloù quça vient, parou quça va !
Malaxez devos glucives,
abreuvez deles coulances,
han et ho,
rag, arg !
- Ma Vert-Peuple empartoize,
sexcraphonte laddame Lunoy,
ouicelle pleuroy pourtissant denavoir ni dogois à semordre,
ni bilic à doigontiller !
Si bienestre que lon partoize,
bientissôt explisse la murmeur enun gémissargasme souflissant en-dessous la feuillure,
sitantestre quembelle Angeline, soufliante dextrave disoy :
- Nentends-tu point, mon armousin, courir une rumeur dans les bois ?
Judith sétait soulevée sur son coude, scrutant lombre du sous-bois pour ny rien voir qui puisse la rassurer, pour ny rien voir du tout en vérité.
- Allons, dit Jean embêté de sentir la peau de son amante frémir dinquiétude sous ses doigts. Il ne peut rien arriver de fâcheux ici, au coeur de ce pays que jai tramé du fil de mon amour...
Bien dit, mon gars - quy se répond pour lui-même - mais touisse bel et bien de tes esgourdes à toi létrange chant de ces bizarres voix...
Alors quoi ?
- Des intrus se seront introduits par quelque faille dans ton univers - affirme la Belle que lAmour rend un rien extralucide ( à moins, bien sûr, quelle en sache quelque chose ).
- Meuh non, ma peureuse mésange au cou charmant, réfute le gars Sarzeau en posant un baiser chatouilleur - une spécialité locale - au creux de ladite gorge.
Nempêche quentre temps - et temps et espace se confondent en Ether - les Verts-Payens à la culotte descendue, sinon ôtée, se sont approchés sensiblement de Judith et de Jean. La taille très supérieure des deux humains - et notamment la taille des organes qui suscitent leur intérêt - nest pas un assez grand défi pour freiner leurs désireux élans. Coquins-coquins petits êtres aux jeux foutrement lubriques !
Durant la journée, pourtant, ils sont un exemple de sagesse et de tranquillité,
bon parents,
gentils couples de fidèles époux,
citoyens irréprochables au sens de lhonneur à fleur de peau et haïssant le scandale
- toutes ces folies qui pourraient perturber leurs jours tranquilles. Cest une apparence fort trompeuse
- or limportant, pour le Vert-Peuple, cest lapparence.
Ils croient que toute chose existe du moment quelle est visible
et inversement,
que rien de ce qui est invisible nexiste.
Cest une religion, ça, les enfants. Car enfin, ils pratiquent depuis toujours ladultère collectif, à lombre dune nuit dencre et sous les fougères où nul Vert-Payen ne peut se voir accomplir lacte. Donc ladultère, invisible, nest pas, nul ne pouvant jurer de navoir pas enchôsé la nuit entière avec son ou sa légitime
et les apparences sont sauves.
Du moins le seraient-elles restées si Jean,
sur la demande de Judith,
navait pas fait surgir deux réverbères du sol de la clairière.
Le temps juste de foutre la main sur linterrupteur,
taquin-taquin Sarzeau
et toc.
Ca fait comme un brouillard plein dombres, un fatras dinstants dont se détache parfois une image,
une idée,
le goût de la brise océane
et lodeur des eaux noires.
La Blanche Galère, telle une araignée deau trottant sur ses avirons les a éloigné des côtes dune distance de trois mois.
Cap sur tout droit où se trouve la sortie dEther.
Jean a regardé tout droit ; sans jamais voir venir les colonnes annoncées où sarrête la mer,
juste lhorizon, toujours plus sombre,
juste la grouillante tâche blanche du navire sur la surface débène liquide. Ni vague, ni courant, ni vaisseaux hormis la galère nen fripent la surface. Nul écueil, nul monstre marin, nulle voilure ne la percent.
Ca fait comme une immense tasse de café noir dont on ne verrait pas les bords et dans laquelle voguerait un grain de poussière à peine apparent.
Alors quoi, encore ?
Où cquelles sont passées, leurs colonnes dHercules ? A quoi ça peut bien ressembler, ça, des colonnes dHercules ?
Certains de dire quelles sont doriques
et dautres daffirmer quelles sont végétales ou vertébrales,
mais le Capitaine du vaisseau
- un grand lézard gris, bonhomme et colérique -
a dit au dîner,
lui,
quelles sont deux à la une. Chacun son avis
et ce sont en vérité des colonnes dopinion.
Vertes caca doie, provinciales à souhait, bariolées daffiches à demi déchirées et de larges tâches durine canine,
dobscènes graffiti écarlates,
à demi noyées par les embruns des cascades doù sélève diaphane la lumière de deux projecteurs halogènes.
Ca fait du gris, de lorange, du trouble et de laffolant. On sent poindre au creux de son replet petit bidon un vide soudain, enfant dancestrales terreurs,
la chute !
Si grondantes sont ces chutes par-delà les colonnes Moris, quelles éveillent Judith assoupie depuis le départ. Et par les cornes du Diable poilu qui la déflora - la grand-mère à Sarzeau, voulions-je dire - il y avait une sacrée paye quelle ne sétait pas blottie contre lui avec autant dardeur, la Belle aux blondeurs désordonnées par léveil !
- Ce bruit est épouvantable, dit-elle.
- On arrive bientôt, lui répondit-il dans loreille un peu rouge de Judith où quil fourre un baiser ventousant.
Elle a cette moue contrariée qui veut dire cest pas le moment et sinquiète :
- Va-t-on revenir doù nous sommes partis ? Les années auront-elles passées ? Serais-je vieille, à mon retour ?
- Dis pas de bêtise, la gronde un peu Jeannot. Le compte des minutes terrestres ne commence quaprès les colonnes. Nous aurons quitté les dimensions de lesprit et nous réintégrerons directement nos corps. Il y a des chance pour quon embarque des seaux de cette flotte noire dans la bicoque de ta frangine Marga... Ecoute, on lentend déjà brailler comme une trépassante.
Et il est vrai que du ciel - du moins de cette surface sombre qui se confond au loin avec locéan - leur parviennent de sourds gémissements de damnés,
pire que le Cri de Razus Aejena le jour de sa naissance,
au coeur de lAnneau.
Mais Judith sinquiète dautre chose :
- Pourquoi tes-tu remis à parler comme un vendeur des Halles ? demande-t-elle.
- Les mots mal connus dune langue mal apprise, cite Jeannot. On est ce quon est, jaurai au moins appris ça, dit-il.
Alors la galère, avant quil nait fini, fut prise dans le courant préliminaire des chutes, devint peu à peu incontrôlable, sengouffra dans la porte, entre les deux colonnes Moris, sombra.
- On a quand même vécu de sacrés chouettes de bons moments, dit-il encore... Tous les deux, finit-il de dire sur Terre,
tandis quen ses yeux clignotants défilent encore les souvenirs de son mirage dEther.
Oh, le mirage nest pas ce quils ont vécu là-haut, le mirage, cest davoir cru pouvoir le vivre à labris des Prophéties, alors quil les avait lui-même dictées en ce monde où tout était lui.
Pas la Blanche Bâtisse, non. La Blanche Bâtisse conserve sa pure et mystérieuse étrangeté dun lieu où communient les âmes de tous les êtres. Il y règne un dieu démocratiquement élu qui na aucun nom, aucun visage, aucun pouvoir sur le Temps ni sur lUnivers, ignorant, sans âme ni conscience.
Miroir des âmes, Il est foi ou doute selon la tendance en Bourse de lindice de communion. Il est le Grand Sondeur, Dieu unique et la Blanche Bâtisse est son Institut de Statistiques.
Judith et Jean auraient dû en revenir comme ils y sont allés, toutefois - et cest peu dire - ils ont choisi un autre chemin. Tel deux arpenteurs des contrées éthyliques où lair est léger et le chant facile, surgissant de loubli dans un matin glacé où il sen faut aller vivre après avoir fait leffort de croire mourir toute une nuit, ils ont franchi les grilles dor des jardins de la Blanche Bâtisse, dévalé les pentes douces des rêves de Jean, sûrs davoir laissé loin derrière eux toutes les Prophéties.
Or les Prophéties sont le récit.
A fuir les Prophéties, Jean en a tramé le réseau.
A se fuir, il sest scindé en multiples parties, il a refusé la partie de lui-même qui souffre de douter, percluse de remords, celle qui a pour nom Razus Aejena.
Razus Aejena Premier le Miracle,
( Primari Razus Aejena Mirari, son titre bestial,
Pram le grand pour les intimes ),
Pram le Grand, empereur des lézards est lEther de Sarzeau.
Afin de mener à bien sa tâche - de donner une Mission au Missionnaire - il fit naître de sa cuisse légions de lézards, qui prirent possession de tous les lieux astraux et géographiques de ceux où sagite Sarzeau. Sa folie incarnée dans limage des lézards
- schisme banal des jours daujourdhui -
répandue et tacitement approuvée par ses contemporains, car les sacrifices de René et de Jeff sont defficaces exutoires à leurs cruels fantasmes. En apparence, pourtant, ses contemporains assoupis ignorent encore tout des événements de la veille. Ils lapprendront par les journaux du matin, au détour dun rêve retourné à loubli.
Le Grand Sondeur ne tient pas compte de la Chronologie.
Il ne sattache quà la tendance, à ses flux de rage et à ses vagues de doutes, or la tendance est aujourdhui mortelle. Pour quelle victime désignée dun doigt hasardeux de la main de leur inconscient collectif aveugle ? Cétaient hier Jeff et René ; demain choisira dautres proies.
La canne blanche du Grand Sondeur a béni linvasion des lézards. Les administrateurs de la Blanche Bâtisse ont fait appeler ça lOrganisation et son chef le Patron. Ca vole, ça tue, ça politique, ça influence, ça détourne, ça transfère, ça blanchit et ça abandonne des flingues chargés dans les poubelles où sécroulent malades les gars Sarzeau.
Et ça met Karola dans des berlines noires, des Karola qui sont des Judith amnésiques
et ce qui était épars, incompatible, se trouve être lié.
Maintenant, il faut y mettre un terme, tant fut hasardeuse la cavale des amants là-haut. Leur passage en Ether flirtait déjà avec les limites de lacceptable, quoiquil faille ladmettre puisque ce qui est incompatible se trouve être lié,
les choses ne sont pas en place,
mais nul sens ne peut vraiment affirmer que nulle chose ait une place véritable.
Cest de la culpabilité de Sarzeau, dont il sagit vraiment, cest ce que disent le Prophéties, cest ce quelles sont, cest leur poids quil fuyait, mais il devait les rencontrer à un moment ou à un autre. Alors il sest crucifié
et Razus Aejena - incarnation de son refus et refuge de sa douleur - est né.
Et Judith et Sarzeau lont fui
et ils ont fini par se rendre
et on les a mis dans la Blanche Galère
et la Blanche Galère a traversé la porte avec à son bord un équipage de lézards qui sont passés sur le plan terrestre
et il sy sont répandus
et ils ont fondé lOrganisation et lusine a fermé
et Jeannine sest plantée avec le type du bar-tabac den face, dont le père vendait ses Gitanes sans filtre au père du gars Sarzeau
et Sarzeau a disjoncté
et il a trouvé le Flingue
et il a tué René
et Jeff
et il a aimé Judith
puis ils sont partis en Ether,
alors il faut que ça cesse
- et toc par deux fois
cest toquer sûrement -
et Sarzeau aurait dû sen douter.
Dés lépisode du Vert-Peuple.
Toc, toc, toc,
chacun des petits coups de leurs petites masses chemine vibrant au travers du pied de fonte des réverbères,
barbouillent, parasites, lestomac des chats perchés, nos amants qui trop épris de leurs élans ont couru sans freiner tout là-haut.
Bien acculés après les ronrons, nos matous tout à poils, à mater au bas de leur perchoir si le Vert-Peuple furibard,
troupeau de souris vertes virées au rouge,
parvient à ganquer du métal sur le socle. Quelle affaire, que de sêtre hissé dun bond au sommet des hampes de fonte, de sy être coincé, collé à leur brûlants bec qui vous rongent peu à peu la peau du ventre aussi sûrement quun bandit des grands chemins vous chaufferait la plante, à sentir vos muscles tendus comme des cordes de piano frappées dun million de coups pervers !
Toc, toc, tac,
ça vous prend par les doigts, les avants bras, la poitrine et le ventre,
par vos cuisses enroulées autour du poteau comme les rigides tentacules dun vieux poulpe agrippé à son ultime proie
- tac ! -
gentiment, ça vient brouiller vos entrailles aussi sûrement que si vous avaliez cul sec un grand verre dhuile tiède,
à vous en faire perdre la tête.
A vous empêcher en tous cas de penser à faire séteindre les réverbères qui vous brûlent lépiderme,
à vous contraindre à oublier les questions cruciales.
Des questions, des questions,
des questions dans un moment pareil ?
- Des questions cruciales, rectifie Jean den haut qui den bas, son dos bardé dun cuir usé à la mauvais garçon, appuyé au tronc dun vieux chêne, se la joue belle de nêtre pas coincé nu au faîte des lampadaires.
- Pourquoi, insiste-il, ton petit peinard dunivers se met-il à téchapper soudain ?
- Fais-donc quelque chose ! râle Jeannot.
- Mais je ny peut rien, Jean, dit Jean, puisque te voilà si impuissant toi-même... Ton amie Judith, elle parvient à raisonner.
Du moins Judith, accrochée à lautre lampe, parvient-elle à formuler certaines questions :
- Quelles sont ces obscènes choses grouillantes ? Navais-tu pas dit que nous ne risquions rien ici ? Ne peux-tu donc rien faire pour nous débarrasser de ces horreurs verdâtres ?
- Mon univers méchappe, dit simplement Jeannot,
tandis quen bas on piaille,
on sencourage à frapper bravement
- cognissez-ferme, compissions ! -
juste à la base de leur refuge où quça semble céder un peu, beau résultat dune rage brusque et collective où soublient leurs péchés propres.
Plus loin en bas, Jean den haut sourit :
- Ton monde est toi-même, Jean. Il ne peut téchapper, à moins que tu ne téchappes à toi-même...
Certaines phrases font parfois leffet autour delles dune sorte dinterrupteur, aussi les réverbères séteignent-ils, moins brûlants déjà, cédant à cette nuit qui gagne quelques âcres dobscurité à la ronde. Le Vert-Peuple, de même, trouve moins dattrait à sa tâche, se mettant à frapper par habitude, sans grande conviction.
- Voudrais-tu dire que ces spermatozoïdes de martiens, sinquiète Jeannot, cest moi ?
- Des aspects de toi, subtile Jean que lon ne voit pas hausser les épaules dans lombre. Tes jeux de gosses mélangés à des rêves de moins gosse rehaussés dun zeste dinterdit. Où vas-tu chercher tout ça, mon gros Jeannot ?
- Mais je ny suis pour rien ! pleurniche ledit gros Jeannot.
- Que tu dis ! dit Jean den haut mais den-bas.
- Que dis-tu ? demande Judith,
qui ne peut apercevoir comme Jean lautre Jean,
celui qui dit à présent :
- Cest pas que je mennuie, loin de là crois-moi, mais je nai rien à faire dans ce qui va venir. Adieu, mon gars, le bonjour à mademoiselle et nhésite pas à faire appel quand tas besoin.
- Et que va-t-il donc advenir ? demande Jean aux supplications angoissées.
Le Guide.
Le Guide est venu peu après que lautre Jean ait disparu dans les ultimes râles de Jean lun
et ceux du V6 de sa Cadillac rose et jaune.
Le Guide se fraye un chemin parmi les fougères à coups de machette, même là où il ny a rien à tailler. Il phosphore tel un ectoplasme, fantôme du officier de larmée des Indes dont il porte le casque haut et les culottes déquitation,
image hollywoodienne dun premier film parlant et
- tiens ? -
en noir et blanc.
La nasse serrée des fougères ne sait faire cesser la progression du Guide, le Vert-Peuple encore moins. Curieuse agressivité des Verts-Payens, soudain armés dépées, darcs, de haches minuscules, comme autant de nounours révoltés tentant de freiner linvasion dun grand-père furibard dans la chambre des enfants quils séquestrent. Mais les Verts-Payens ne sont en rien de fiers lyncheurs :
dépassés leurs premiers rangs, le noyau séparpille, explose, éclats vert-poilu roule-boulant partout où lombre peut les camoufler,
ne laissant sur le terrain que quelques vaillants braillards, fanatiques de leur intégrité et pécheurs de fait.
Ceux-là fuient pareillement quand les regardent droit au-devant le Guide et quil dit cette bizarre formule:
- Un fou germe dans les sous-bois, cest le Grand-Aigle !
Et toc.
Toc, toc, toc,
les pas des amants et du Guide posés péniblement sur le flanc du mont dont ils vont atteindre le sommet, sous la brise fraîche dun après-midi printanier.
- Mister Sarzeau, je présume ? avait lancé lincolore au juteux accent de rosbif, dans la clairière du Bois-Coquin.
Limpeccable tenue de son quasi garde-à-vous, la machette coincée sous le bras à la manière dune baguette décuyer, la moustache pincée par deux doigts tranquilles rompaient du tout au tout avec la cavalcade effréné qui lui avait servi dapparition théâtrale. Il sembla alors se rendre compte que les amants étaient nus et il détourna pudiquement les yeux.
- Lui-même, répondit Sarzeau. Et voici mon amie Judith.
Ils sautèrent à terre. Sarzeau vit la gêne du bonhomme quant à la couleur de leur costume et il tissa de rien des frusques plus décentes. Un complet blanc pour lui assorti dun panama, une aimable robe champêtre aux motifs colorés pour Judith. Lune de ces robes faussement modestes dont lapparente simplicité masque la sophistication des courbes qui moulent rondement les désirs de futurs piégés. Lhistoire encore de la fleur et de linsecte, lhistoire dune orchidée déguisée en pâquerette pour attirer les bourdons aux goûts rustiques.
- A qui avons nous lhonneur ? a demandé Jeannot à la langue qui apprend à moduler ses coulées salivaires selon les circonstances.
- Je suis le Guide, répondit le Guide. Je suis chargé de vous mener auprès de M. le baron des Jours Tranquilles. Nous sommes assez loin de cette contrée, aussi jaimerai que nous nous mettions en route.
Sous le clair soleil dun doux début de printemps dont ils gravissent la pente, le Guide a tendance à seffacer un peu, à cause de la lumière du jour. Ils lont suivi sans poser de questions, mis en confiance sans doute par son irruption bienvenue et par son port aristocratique, mais aussi - concernant Sarzeau - par quelque chose en lui de familier. De familial, même... Cela le frappa lorsquils traversèrent un bocage aux verts vifs de fraîcheur et que le Guide se posta un peu plus loin devant eux pour les attendre. Lobservant pour la première fois avec un peu de distance, Sarzeau le vit plus âgé et plus courbé quil ne semblait lêtre de prés et à la lumière de ce nouveau regard, il lavait reconnu :
- Je connais ce type, dit-il à Judith.
- Qui est-ce ? demanda Judith à la langue décidément interrogatrice.
- Viens, dit Sarzeau au lieu de lui répondre. Je vais lui poser quelques questions...
- Eh ! Monsieur le Guide ! lança-t-il en sapprochant. Je vous connais !
Le Guide sourit :
- Certes oui, dit-il. Je suis votre grand-oncle du côté paternel...
- Armand ! crie Sarzeau excité comme un gosse. Loncle Armand, le garde-champêtre !
- Et Adjoint au Maire...
- Celui qui jouait de laccordéon,
ceci dit à Judith comme si elle devait par la même situer le personnage.
- Je vous croyais anglais... glisse Judith à la langue perspicace.
- Pour tout dire, dit le Guide, je ne suis pas tout à fait loncle Armand de monsieur Sarzeau fils. Je suis présentement ce que monsieur imaginait de moi quand il était enfant. Nous autres, les morts, devons nous conformer à ce quimaginent de nous les vivants. Cest souvent paradoxal.
Sarzeau na plus rien dit jusquau bivouac, que lon établit à labris dun grand sapin, seul représentant de son espèce sur les flancs du mont pelé qui les empêche de progresser rapidement. Là encore, il fallut un bon moment et tout lamour de Judith pour quil débloque ne serait-ce que dun mot. Ces petites inquiétudes qui se transforment en violentes angoisses, têtes diceberg profilant leur dixième en surface. Qui, bon Dieu, qui mène le jeu ?
Question simple, mon Jeannot, aux réponses complexes, multiples et peu claires...
Tout semble être moi ici et tout mest si hostile pourtant ! Le Guide se dit être issu de mon imaginaire mais il méchappe, il ne mappartient pas ! Comme le Vert-Peuple, comme certains des paysages que nous avons traversé. Il y a là une logique que je ne saisi pas, or les signes semblent se multiplier, comme fléchant la route des Prophéties vers une fin que jignore, mais chacun semble croire que je suis à la fois cette route, les flèches et la fin en question.
Que crois-tu dautres, mon Jeannot ?
Je... Je nen sais rien. Je sens simplement venir quelque chose de grand et dinquiétant.
Grand et inquiétant, cest une rupture, nest-ce pas ? Lenvie et la peur... Un premier pas vers le schisme...
Oh, toi ! Je croyais que tu navais plus rien à faire ici.
Tu mas appelé, mon Jeannot.
Non.
Mais si...
Fous-moi la paix.
- Tu disais quelque chose ? demande Judith aux désirs frustrés par les absences de Jean.
- Jmarmonnais, marmonne Jean.
Toi, au moins, tu nes pas moi, songea-t-il - et les doigts de Sarzeau caressent le cheveux dor de la Belle - mais avec moi.
- Tu parlais à ce double astral, nest-ce pas ? dit-elle. A ce Jean.
- Je ne sais pas... ment-il.
- Cesse de tinquiéter, ordonne lAnge, tu vas finir par provoquer de méchantes choses... Regarde autour de toi palpiter ce joyeux monde !
Sûr ! Des hauteurs quils occupent, ils peuvent voir la forêt lointaine doù surgit le fleuve sinuant au creux dune vallée de champs cultivés, cultivés pour sûr et bien sapés, aux quatre coins carrés doù ne séchappe aucun épi, au bon goût, en plus, de nuancer leurs ondoyances du vert gazon au vieil or. Et dici, puisque la vue est large, en un damier régulier de jours et de nuits, on voit sétendre toute la géographie du Temps.
- Comme cest étrange, sétonne Judith, on voit entre chacun des carreaux du damier la ligne pastel dune aurore ou dun crépuscule.
- Le Temps, cest de lEspace, Milady, maxime le Guide en tournant le bout de sa moustache.
Jeannot tourne vers le bonhomme un visage curieux :
- Alors, dit-il, on ne parcoure ni lieues, ni brasses, mais des jours et des nuits ?
Le Guide soulève un sourcil approbateur.
- Donc, poursuit Judith, si lon reste éternellement au même endroit, pas une minute ne sécoule.
Loncle Armand sourit poliment :
- Cest cela, dit-il. En Ether, tout ce qui est a été et sera jusquà la fin de lAnneau. Cela génère bien entendu des Paradoxes : on peut se voir et se parler en tout endroit où lon se tînt, ce qui engendre des situations nouvelles, donc ajoute une case supplémentaire au damier du Temps.
Un large tour de main vers le firmament carrelé ; suite :
- Mais vu que chaque case du Temps existe déjà, cela répand vers le générateur du Paradoxe un flux inverse qui lenrichit dune expérience, elle-même déjà existante, donc nouvelle case dans le ciel, hop, nouveau Paradoxe et ça nen finit jamais...
- Jamais ? insiste Sarzeau.
- Non, jamais, dit le Guide avec un mystérieux ton de conteur plein de douces inflexions. LAnneau est infini. Cest le suprême Paradoxe, lauto enrichissement que jalouse tant lempereur Razus Aejena.
Judith ne peut sempêcher démettre un petit couinement de souris, tandis quen son esprit sinsinuent ces idées et se fait vertigineusement ressentir limpalpable infini.
- Cest dingue, murmure-t-elle comme pour ne pas attirer sur elle les soupçons de lAnneau.
- Et vous navez aucun point de repère ? sinquiète plus pragmatique mon Jeannot.
- Si, sourit loncle Armand : vous.
- Comment cela ? le bouscule un peu Sarzeau.
- Vous, explique le Guide au flegme invincible, vous ne pouvez être quune seule fois en un seul endroit. Remarquez, cela vous oblige à vous diviser de plus en plus, à créer des doubles dissemblables tels que moi-même... Il nen reste pas moins que vous percevez lécoulement de votre histoire dans un ordre apparemment chronologique. Cest là notre repère...
- Je ne comprend pas bien, avoue Jeannot à la moue perplexe.
- Eh bien, reprend pédagogue le Guide, essayez dimaginer ceci : en ce qui me concerne, jaccomplis sans arrêt le voyage entre les Jours Tranquilles et le Bois Coquin, dans le but de vous ramener auprès du baron. Daccord?
( La moue de Sarzeau névolue en rien ).
- Bon, cette partie de moi-même, issue de votre enfance, a été recréée uniquement pour vous trouver et vous conduire. Mais cest la première et la dernière fois que je vous vois ici. Pourtant, je continuerai à accomplir ce voyage jusquà leffondrement de lAnneau. Cest en cela que vous êtes un repère...
- Alors pour vous, cest le grand jour, sourit Judith.
Le Guide regarde à sa droite et à sa gauche, lair légèrement surpris :
- Les jours sallongent en effet, dit-il. Mais nous nen sommes quaux Fontes dAvril et les Grands Jours sont à Juin, en aval du fleuve.
Il saperçoit alors que les amants ne suivent pas vraiment, quils tentent en toute bonne foi de sadapter à ces règles nouvelles sans y parvenir tout à fait.
- Allons, dit-il, la route est longue.
- Curieuses règles, dit encore Jeannot.
- Ce sont pourtant les vôtres, glisse le Guide souriant.
- Les miennes ? manque de sétouffer Jeannot. Comment aurais-je pu inventer un truc pareil ?
- Je lignore, avoue le Guide peu soucieux de connaître les pourquoi des comment.
- Enfin mon vieux, nie du Jean, soyons sérieux... Jsuis un ouvrier, moi, pas un écrivain de science-fiction...
- Ah, non, non, non, dément le Guide. Vous nêtes plus ouvrier, vous êtes magicien...
Et Sarzeau de se marrer du rire le plus vulgaire dont il puisse se souvenir, entrecoupé dinavouables jurons.
- Mais monsieur Sarzeau, dit le Guide vexé à la voix qui sait être froide, vous ne savez donc pas où vous vous trouvez ?
- Si, fanfaronne Jeannot : dans un cimetière de plaisantins.
- Je vous assure que je suis sérieux, monsieur, affirme lArmand. Ces règles-là ne peuvent être que les vôtres,
puisque vous êtes en VOUS-MEME
et que vous nen êtes jamais sorti...
Et toc.
Alors Jean a renoncé. Il ne veut plus comprendre, refuse de réfléchir, il ne saura rien, na.
Et il sera joyeux, follement heureux.
Empli dune joie communicative.
Ainsi entame-t-il sa carrière damuseur public.
- En route, dit le Guide.
La route en question allait dun lundi davril à un mercredi daoût. Ils croisèrent plusieurs fois le Guide qui cheminait en sens inverse, leur adressant un salut poli auquel ils répondaient gravement.
Comme la paire damants était stupidement ébahie par chacun des papillons - dont certains étaient percés dune épingle -
qui voletaient partout,
quen plus ils marchaient lentement derrière le Guide, vu quils se lançaient sans cesse de foudroyants regards et loupaient un pas sur deux
et quavec ça, ils sarrêtaient à chaque fourré pour en essayer la moiteur
- la pause bisous, disaient-ils -
ils mirent une certaine distance à arriver à temps.
Non, rien.
Mes aïeux, tas vu la paire de la donzelle ?
Ainsi furent-ils accueillis en la plaine où le baron présidait au déjeuner des moissons. De toute éternité, Toto répétait cycliquement quand le Guide arrivait :
- Mes aïeux, tas vu la paire de la donzelle ?
Cétait pourtant la première fois quil voyait la poitrine rebondie de la donzelle sous sa robe tendue ( à moins quil ne parle de sa paire dailes, mais cest peu probable ) et quil essuyait le double feu de son regard méchant.
Il cherche le soutient de Momo et de Raoul, mais iceux tripotent qui une paire de boules, qui le cochonnet, alors un silence gêné sempare de la petite communauté dhommes, de femmes et denfants qui déjeunent sur des draps bigarrés étendus à même le gazon.
- Cest ce que je dois dire, boude Toto...
En effet, la communauté trompe involontairement les Prophéties, modifiant léternel instant de cette rencontre annoncée, aussi leur case du damier temporel glisse-t-elle dun quart de seconde à louest.
Ce petit peuple occupe pour loccasion de cet éternel pique nique un splendide dimanche de la fin août
- dun arbre à dix heures quarante trois jusquau puits, à quinze heure quarante deux -
en la baronnie dite des Jours Tranquilles.
Le baron festoie auprès de ses gens :
des femmes replètes et rougeaudes dont les robes de coton imprimé laissent dépasser la bordure dentelée de leur soutien-gorge à baleines ;
leurs mains distribuent les casse-croûte, le vin et le munster odorant, les prunes un peu écrasées, les tapes sur les fesses des enfants polissons ;
leur voix grasse couvre le brouhaha et tente dordonner le repas ;
des filles, des fillettes en socquettes blanches, jupettes plissées en tissus écossais, queues de cheval, couettes démodées, une grosse barrette de plastique émaillé coupe transversalement la raie de leur perruque aux chute symétriques ;
leurs mains tiennent des cerceaux ou couvrent leurs lèvres diseuses dun secret coquin ;
leur voix criarde au rire facile marie les uns aux autres, une cousine à la poitrine juste naissante à lun des grands garçons dont la voix muante est pleine de défis parricides ;
leur paluches toute râpées par les ronces, lescalade dun rocher dangereux, les bagarres entre eux,
les doigts un peu jaunis par les cigarettes interdites tiennent des épuisettes, des cannes à pêche de bambou et des Opinel N°6 ;
un béret noir couvre leurs cheveux ras, contrastant avec leur face rose de bonne santé aux oreilles découpées, au nez brusque et vulgaire, aux dents écartées sous un sourire bravache,
têtes que soutiennent des corps longs, des corps ronds, des tassés, des difformes, des corps sans particularités, des corps accablants aux genoux râpés par-dessous les bermudas accordéonnés que rehaussent de fortes bretelles croisées dans le dos de leur douteux tricot de peau ;
et les hommes palsambleu ! Les hommes à la voix jurante, parjurante qui beugle des politiqueries rehaussées de Peugeot 403 et de footballages,
aux mains calleuses comme des gourdins de bouvier qui serrent ferme le Laguiole et tranchent fin le saucisson sec,
destin final de la salaison sous leurs rudes dents avant quun canon de rouge du pays naille tremper leur palais.
Ils essuient ensuite leurs doigts gras sur le côté de leur tricot de coton blanc ou sur leur pantalon vert de toile rude, avant dentonner une chanson partisane.
Et puis il y a Monsieur le Baron.
Fidèle aux traditions, il porte un tricot en mailles de fer, un peu troué, un peu rouillé et ses bras, ses épaules noueuses sont aussi rouges de soleil que le reste de sa peau est blanche dombre. Il se couvre dun heaume intégral emplumé dun panache pourpre, au sein duquel il doit sûrement suffoquer de chaleur. Une épée cruciforme dune main et demie est placée devant lui, comme si il attendait que lenvahisseur à bouter surgisse de partout.
Il est fier, droit, ténébreux presque.
Sa Seigneurie des Jours Tranquilles assiste aux réjouissances des ses gens, sans y participer vraiment. Il nest pas silencieux, pourtant. De toute éternité il dit :
- Ah ! Les glorieux hôtes de notre baronnie arrivent enfin.
Sa forte voix perce le tumulte un peu jaune et lair un peu corné de cette province. Clic-clac, Kodak.
Sarzeau, soudain, sursaute de surprise. Il regarde plus intensément le noble masqué, flèche lumineuse en direction de la fin attendue, il se redresse un peu et gonfle sa poitrine, car il faut être fier en présence de,
- Toi ? dit-il.
- Oui, dit laristocrate des champs dont la main ouvre comme Lord Vador en dautres légendes son casque de fer, oui mon Jeannot, dit père dont la main souvre en effet sur un paquet de Gitanes sans filtres roulé en une boule presque parfaite.
- Toi.
Les paupières de Jean Sarzeau sétoilent dun peu de larmes :
- Es-tu toi aussi de mon imagination ? sanglote le démissionnaire pour le coup moins fier.
- Il faut, fils, que je texplique certaines choses. Mais je ten entretiendrai sur la route, car il me faut te conduire à ta fin.
La gente du baron Sarzeau des Jours Tranquilles se lève à sa suite.
- Cest bon, dit-il débonnaires à son peuple. Continuez à fêter cette éternelle moisson, je suis encore parmi vous. Mais il me faut mener mon fils au terme de sa conscience.
Père, serais-tu mon mystère ?
On se trouve, Judith, père et Jean, fort avancés sur la route, car les barons sont des hommes francs qui vont droit au but :
- Ainsi le Guide ta-t-il dit que tu voyages en toi-même...
- Que sais-tu dautre ? attaque le baron.
- Pas grand chose, en vérité, avoue Jeannot.
Cest un printemps azuréen, une forêt de chênes-lièges et de mimosas à la floraison précoce. En contre bas des côteaux, sur la plane surface de la mer bleue, des sénateurs phocéens font du yachting dans les belles galères aux voiles colorées.
Père marche vite sur la sente à chevrettes, vêtu dune simple bure à rayures qui jure un rien avec le costume et le panama blanc de Jean et la mignonne robe plissée de Judith.
- Ton amie est jolie, dit père sans se retourner. Et tu es quelquun dimportant...
- Jai fait comme jai pu, modeste Jean.
- Taurais pu mieux faire, gronde le vieux.
- Mais papa... tente Sarzeau.
- Mais papa, mais papa, râle le baron... Cest une histoire à se damner, ton affaire.
La brise légère et tiède bougonne délytres prestement agitées dans les fourrés odorants, odeur forte de mimosa, parfum de lilas et dautre fleurs dont le message érotique ( parfaitement inutile en Ether ou les espèces ne se reproduisent pas, mais ainsi la voulu Sarzeau ) explose à cet endroit du temps dEther. Les plantes se livrent à de bien dures concurrences : à qui sent le plus fort, à qui croît le plus haut, à qui dexhiber plus hardiment le pistil de ses fleurs entre leurs vastes pétales épanouis jusquà lobscénité, jusquà se faire sévanouir les plus sensibles abeilles. Les guêpes cliquettent des mandibules à sentir la même brise porter de loin les effluves dun agneau que lon grille sur un tapis de braises rouges, peut-être sur lune des plages, entre les calanques, ou plus sûrement sur un flanc de colline que lon ne voit pas encore. Sarzeau-fils lignore.
Comme il ignore qui a mis tant de galères sur les flots cristallins - pas lui-même, pas directement, cest certain. Elles semblent toutes converger vers une identique destination, un petit port dont on voit la jetée aux environs des quatorze heures du même jour. Elles, au moins, savent où les mènent leurs intentions, tandis quen Sarzeau saccomplit la même convergence des signes, sans quil sache, lui, vers quoi cela lattire. Oh, il y aura des lézards, cest certain. Trop longtemps
- trop loin, faut-il dire -
quon a pas vu lune de ces tronches de sac à main dans les parages.
Puis ça sent le soufre par-dessus les fleurs.
Les ajoncs éclatent, les mouettes crient, les enfants rient, un pipeau pépie et papa maugrée :
- Je suppose quil y en a qui sont nés pour se faire berner du berceau au cercueil. Ca fait parti de léquilibre universel, sans doute. Mais cest plus drôle quand il sagit des enfants des autres, lance père.
- Tes dur, papa, boude Sarzeau-fils.
- Il fait son job, papa, dit papa.
- Mince ! éclate son Jeannot qua puisé depuis ltemps la manne paternelle à dautres tétines célestes, jai tout de même plaqué la route tout tracée des Prophéties !
- Cest vrai, monsieur Sarzeau, glisse Judith. Jean parvient à faire des miracles, vous savez...
Le baron sourit et il a lair coquin :
- Jsais bien, dit-il, vous êtes à mon avis son principal miracle. Pour sûr que cest un Sarzeau, mon galopin. Mais il faut vous rendre à lévidence, votre... incartade fait pleinement partie des Prophéties qui ne pourraient être sans elle. Cette fuite nest quun oubli momentané des meurtres de mon fiston et ils vont être payés au prix fort. Face au Grand Sondeur, nom de Dieu, ce genre dhistoires ne sont pas gratuites. Et moi je suis chargé damener Jean vers sa fin.
Le masque de Jean est rigide, ses bords sont tranchants et son rictus amer :
- Qui ? Qui a pu te charger dune pareille mission ? demande-t-il.
- Mais toi, évidence père. Qui dautre ? Tu vas comparaître devant chacun des aspects de ton Moi et être condamné par eux. A une peine douloureuse. Si tu supportes la douleur, tu seras entier. Cela ne téviteras pas la mort. Il y a de fortes chances que tu te la donnes à toi même. Au mieux, tu finiras ta vie dans un asile de fous à peser et repeser le poids des cadavres qui traînent en toi. Tu mourras plein de peine.
Si tu échoues durant lépreuve, tu tenfuiras en laissant derrière toi ( cest à dire dans ton coeur ) la partie de toi que tu rejettes, celle qui porte tes souffrances et tes culpabilités, le masque de ta cruauté et de ta haine. Elle aura son indépendance, vivra en toi une existence propre jusquà ta mort. Elle sappellera Razus Aejena, car il est dores et déjà su que tu échoueras.
Père bifurque à la croisée des chemins. Il emprunte un sentier à peine visible, couvert dherbes hautes, envahi de ronces aux jeunes ramifications fragiles sous le pied dont certaines gisent sur la terre moite, tant il est sûr quils doivent emprunter ce chemin-là et les trancher dune maladroite foulée dhumain. Dailleurs, les traces de leur marche sont par avance imprimées dans la glaise et jamais lun de leurs pas ne sen écarte.
Père poursuit sans la moindre émotion dans la voix :
- Tu as échoué, puisque Razus Aejena est lempereur des lézards que tu combats. Tu ne serais pas ici, si tu navais pas échoué.
Le sentier monte, Jean est las, ses jambes sont lourdes et sa voix traînante :
- Comment aurais-je pu échouer, puisque je nai pas subi lépreuve ?
- Ne sois pas naïf, Jean, dit sévère papa. Nous sommes en Ether, hors de toute chronologie. Je puis ten entretenir, puisque je suis lincarnation de ton savoir ancestral.
- Alors tu nes pas toi, paradoxe du Jean, tu nes quune voix au creux dune image, tels que le sont le Guide, le Vert-Peuple, lautre Jean et même le portier-démon de lEnfer.
- As-tu jamais pensé autre chose ? dit père dont la main les invite à sasseoir sur une pierre plate.
Alors longuement, il leur enseigne les axiomes paradoxaux de lEther. Judith lécoute aussi sagement que Jean est distrait. Le rejeton du baron sinstalle face à la mer sur laquelle évoluent de nombreuses galères, dont plusieurs, à la file, sont identiques. Des convois ?
Sarzeau comprend enfin :
ces bâtiments sont uns, un par rangée, diverses phases de lapproche et de laccostage étant visible, une à une, décomposition du trajet des navires déployés sur les flots.
Loeil de Sarzeau doit le tromper. Il fait des images moyennes et centrales des galères embouties les unes dans les autres, millimètres par millimètres, microsecondes par microns. Pieux mensonges : il ne voit quune douzaine de bâtiments - au lieu den voir des millions parcourir inlassablement la même route. Doux rejet de loeil commandé par lesprit et sacheur de ses limites.
Père parle depuis longtemps, bourdon régulier de sa voix de basse au creux de loreille :
- ... de cette manière, nul commencement, nulle fin nest déterminable. A supposer quun rien glacial soit lunivers primitif, il fut un Paradoxe originel duquel naquit le Tout, qui du même Paradoxe engendra le rien. Donc, sefface lidée de chronologie ; elle renaît dés que disparue ; cest un sacré bon Dieu de casse-tête que gère le Grand-Sondeur.
- Et le Grand-Sondeur ? réclame Judith à la langue de fillette assoiffée de légendes. Je lai rencontré, il avait mon visage.
- Quelle chance... Il ne reçoit dhabitude que sur rendez-vous. Ca nétait néanmoins que votre facette du Grand Sondeur. Ils est un maëlstrom dintentions spirituelles, lieu et temps où se recyclent lidée, le rêve, le fantasme, le sentiment, limpulsion, linstinct, la prescience comme se recycle la matière au coeur du Cosmos. Il est père de la vie, grand-père de lhomme dont il est pourtant lenfant.
- Je ne saisis pas tout, dit Judith à la langue déçue.
- Cest chiant, dit Jean,
Alors père lui allonge une torgnole. Et le regard de Judith quil croise est sévère. Jean boude.
Et père reprend :
- Où cest que jen suis ? Ah, oui... En dautres termes, lhomme a fait Dieu à son image et vice-versa. Dieu a fait lhomme, puisque lhomme a fait Dieu pour ça...
- Cest vachement pratique, malaise Jean à dessein.
- Ten veux une autre ? dit papa.
Jean se lève sans répondre et reprend boudeur le sentier broussailleux.
Judith et père se décident à le suivre lair de rien et bien entendu, père reste assis sur sa pierre tout en se levant. Pas Judith. Le baron la suit, la dissèque dun regard qui sarrête juste au bas de sa paire dailes.
- Un miracle, murmure-t-il.
Judith est ailleurs :
- Jean ! crie-t-elle. Attends nous !
- Effet désastreux, constate père en sapercevant que Jean accélère. Laissez-le aller : je sais où il va.
Lhomme infantile, missionnaire boudeur, file droit devant. Les oreilles bouchées pour ne pas entendre les paroles de Père quil dépasse à chaque instant. Le baron semble entretenir un interlocuteur absent dun sujet grave. Judith, sans doute, qui tout comme Jean ne peut-être quune fois en un seul endroit. Elle, au moins, ne se divise pas en multiples parties aux visages divers.
Sarzeau na amené que lamour de Judith en Ether, au mépris, certainement, dautres parcelles delle.
Manque et douleur.
Manque delle - déjà - et douleurs à peine perceptible quoique persistante, aux origines inconnues.
Père dit auprès dun cyprès à son auditrice invisible :
- Lhistoire de Jean est ainsi faite. Il ne paiera pas - ou peu - pour les crimes commis, mais pour ses promesses oubliées. Pour un échec en particulier.
...
- Vous verrez bientôt quel est son supplice.
...
- Tenez vous-en à votre rôle, mademoiselle.
...
- Je ne peux rien vous dire de plus. Mais appelez-moi donc papa, mon petit.
Alors Jean éclate en sanglots. Au beau milieu de la fête à laquelle la conduit le sentier, sur lun des coteaux qui surplombent la mer bleue.
Il pleure comme fusent autour de lui les pétarades, les échos des baloches, les baisers hasardeux, les baisers convaincus, les rires denfants, ses larmes coulent comme surgissent de la lande chauve les chapiteaux bariolés, les tentes bigarrées où se produisent nombre saltimbanques, illusionnistes, faiseurs de miracles, jongleurs brillants, marionnettistes, ensorceleurs
et les autres,
marchands de rêves,
M. Molière et sa troupe,
fourvoyeurs de boustifaille variée
- de barba papa,
de saucisses moutardées, ensaucées, épicées -
tire-au-flanc et tape-à-loeil
et le public réjoui,
autant de Sarzeau enjoués au milieu desquels pleure loriginal esseulé. Plus loin, la Grand Roue aux mille fanions claquetant au vent, les flonflons ronflants dune fanfare,
les railleries pincées dun biniou persiflant,
le tintement des oriflammes aux couleurs de leur province dEther et dont les filins dacier tiquent contre leur mat de fer
et,
sous le soleil des quinze heures, une zone isolée, une colline nue, ventre rebondi des réjouissances.
Le fest-noz, le vrai, se tient bien au-delà, aux environs noctambules des vingt et une heures. Le vent après minuit porte le souffle jouissant des Cendrillon-Sarzeau ( désobéissantes, donc ) amantes des Prince-Charmant-Sarzeau quelles embrassent à seize heure.
- Jean, Jean, dit Judith à la tendre voix, pourquoi ne mas-tu pas attendue?
Il prend sa main, lassoit doucement à même le sol, prés de lui et instantanément se sent amplement mieux. Il caresse le bout de son sein, en manière dexcuse.
Elle effleure ses lèvres, pour réclamer son pardon.
Ils lacceptent vis-à- vis.
Ils sétreignent.
Ses lèvres ont le goût du crépuscule des fous. Le goût de cet endroit où saffrontent les paradoxes à leur paroxysme.
Où sentrechoquent les idées.
Où virevoltent les rêves, papillons translucides.
Où sont lucides les idiots et transis damour les cyniques.
Où ceux des prêtres donnés à lAejena lisent des louanges à Sarzeau,
où dhérétiques prêcheurs humains - hérétiques au sens de lEmpire - psalmodiant comme si quelque farceur avait interchangé les Livres Saints.
Où de froids lézards, entraînés à cette tâche accomplissant leur devoir prophétique,
séparent les amants,
assomment un peu Judith, afin de faire cesser ses hurlements larmoyants,
bousculent un rien Jeannot
et le matraquent un peu,
le plongent dans le bain bouillant de leur violence,
où crissent des dents quand elles se brisent,
où craquent des côtes quand on les pulvérise,
où rient des mâtons qui cognent,
où rampe un Sarzeau humilié entre les deux haies des gardiens de la honte,
quand on le frappe, mon agneau,
quand pousse fort au fond de lui le spectre dun Sarzeau dantan, vêtu du manteau de sa nullité,
mon gros Jeannot
- mappelle pas mon gros,
mon gras alors,
mon ventru, mon bidon, ma bedaine, ou ma couille, si tu préfères,
mon tas de merde adoré !
Et lunivers entier de rire avec un René privé de sa mâchoire inférieure ! Et lUnivers des univers entiers de le couvrir dinsultes, durine et de salive, de glaires et détrons à la suite dun Jeff lobotomisé qui répète sans pouvoir sarrêter « suce ! «, « suce ! «, « suce ! «, entre deux cascades dun fou rire asthmatique,
baveux et sanguinolant !
Le Bêtes,
à moi,
les Bêtes !
hurle-t-il.
Mais :
Gros bêta mon agneau gras !
sexclament-elles, vertes-poilues, rose-plumées, rondes ventrues, mille-patteuses, longues-annelées, congénitales crétines, mailles-enchaînées, membraneuses bleues-veinées, unicellulaires spongieuses, argilo-calcaires, chrétiennes-démocrates, rupestres-paléolithiques, maniaco-dépressives, prospectrices placières, éternelles-neigeuses, volontaires homicides, patenôtre dominicales et dimanches ordinaires, gastronomiques itinérantes, constantes emmerdeuses, patibulaires scrapeuses, tourneuses-fraiseuses, mezzo-soprano, constantines épisodiques, instables caractérielles et spécialisées éduquantes, délictueuses récidivistes, chômeuses longue-durée alcalines en fin de droit, éthyliques chroniques, déliquescentes hémiplégiques, hémistiches presbytes, ptérodactyles pubères, obsolètes chrysanthèmes, cramoisie primesautières, saliques fossilisées, gibeuses galbées, téléologiques hellènes, ce nonobstant quelques compensations sympathologiques :
- Bêta, bêta tu es, notre calice dambroisie,
notre calisson dAix,
notre sucrerie acidulée,
notre bourbon aux saveurs fleuries,
notre adoré chapon gras,
notre magret aux morilles sur son coulis de framboises,
notre douceur caramélisée
et aussi
notre fièvre carabinée,
notre passion christique,
notre essence extatique,
notre substance transcendantale,
notre transport supra-cosmique !
« Nous sommes toi et tu es nous,
nous sommes ceux-là et ils sont toi,
nous sommes là !
Où ça ?
Ici !
Vois-ça !
Nous sommes ici, nous sommes là, nous sommes en eux, nous sommes en toi !
Les Bêtes, les Bêtes, dissoutes en eux ? En cette foule aux railleries célestes, lézards, ombres humaines aux traits connus, ces Jeff, ces René, ces concierges Jésus-José-Mariantès, ces épiciers aux souhait de bonheur peu sincères, ces portugais pépiant, ces Momo grondants, ces Yvonne aguicheuses, ces stupides Suzy, ces femmes qui passent hors de sa portée et le font rêver la nuit ?
Les Bêtes, est-ce bien vous ? Pourquoi ne me soutenez-vous pas dans lépreuve ? Pourquoi dois-je parcourir en rampant cette pénible route, plutôt que dêtre porté par vous sur le trône de ma gloire ?
Parce que tu commandes, maître adoré et nous exécutons ! Tu commandes ton procès et nous ty conduisons, tu veux savoir ta faute et nous te la montrons !
Regardes !
Nous sommes tes omissions ! Nous sommes ces enfants misérables que tu nas pas secouru, nous sommes ceux qui ne seront pas
- et parmi eux, combien de bienfaisants -
car tu as anéanti leur ascendance,
nous sommes cette femme violentée que tu ne parviendras pas à sauver,
nous sommes le malheur que tu sèmes comme les blés,
nous sommes les fleurs arrachées,
les vies mutilées,
les amours déçus,
les rêves froissés,
dont tu es la cause,
dont ta fuite est la cause,
dont la cause est ta Mission endossée et non achevée !
Regardes-toi !
Jean écarquille ses yeux cloqués quun voile de sang pourpre obscurcit et voit une mer mouvante - soudain silencieuse - de tignasses et de regards tournés vers lui. Il lit dans ce livre ouvert le récit de leurs espoirs
de leur volonté farouche que tout cela ne soit pas si absurde,
si vide de sens,
si dénué daboutissement ;
lépreuve quotidienne de leur lever
- après avoir fait leffort de croire mourir toute une nuit -
lamas de ces petites douleurs à peine perceptibles mais si persistantes, piquées au canevas de leur dépouille charnelle,
ce, du lever au coucher
et même au-delà,
au-delà de ce que peut emmagasiner leur fragile mémoire ;
que cette gageure, enfin, nommée, prénommée, susnommée "vie" ne soit pas un accident naturel se générant par lui-même,
se nourrissant de lui-même,
sanéantissant au bout de lui-même et rempli entre temps de quelques sursauts événementiels
mais,
pourquoi pas,
les pièces mélangées dun puzzle cosmique dont la réalisation donnerait un visage à lAbsolu,
à cet au-delà de soi-même - jardin dEden au portail désespérément clos.
Le puzzle serait un tableau multidimensionnel au sein duquel chacun aurait sa place, oeuvre grandiose et improbable peintre.
Il voit cet espoir en eux, sy reconnaît et sy complète, sy glisse et sy complaît,
comme ils se reconnaissent en lui et réclament de leur voix muette la venue des temps nouveaux quil leur a promis,
comme le curé dont la soutane noire racle à nen plus finir le sol mal dallé dune église qui sent le moisi
et comme à tout un chacun qui a fréquenté lécole des souvenirs dici-bas,
leur a promis un salut céleste,
éternel, doucereux et utérin.
Alors il a su ce quil était pour eux.
Il a su ses propres promesses.
Il a su quil sont lucides,
tout comme il est lucide,
conscient
quil ne peut
les tenir, ses promesses.
Cest ce quil-ils se-lui reprochent.
Alors ?
Quattendent-ils maintenant ?
Son plaidoyer ? Ses excuses ? Son pardon ?
Que peut attendre une foule dêtres disparates - quoiquéléments dun même Moi - aux vêtures bariolées ou ternes,
guenilles ou somptueuses livrées,
bedonnants bidonnants ou échassiers osseux,
ressortissants du peuple phallique,
indigènes des îles du Mont de Vénus,
demi-dieux de Spartes, de Thèbes, dailleurs, Hellènes, Italiotes, Angles, Slaves, Ibères, Bantous, Nippons, Annamites, Sémites, Sélénites, Cévénols, Finnois, Franc-Comtois, Frisons, Guaranis, Mandarins, Siciliens et Lombards, lézards bien sûr,
mioches, rejetons du jour,
ou copains de comptoir du vieux Noé,
venus et réunis comme à la pendaison, à la coupe, à la foire,
mâchouillant ça et là et où cquya de lombre si possible un tiers de baguette garni là
de claquos-cornichons-concombres,
brie-rillettes et autres terrines,
ici brousse des brebis du Béarn-pâté dépinards arboricoles aux pois écossés ( dEdimbourg ) concassés éclaircis dune crème de mandragore doucement réduite dans un fond descargots au beurre persillé, suprême damanites frappées de calvitie au croûtons aigres-doux de frangipane citronnée dans leur fricassée de merlans
et autres marsupiaux
et même des merguez,
dans la brise un rien banlieue dune atmosphère Tour de France et Coupe dEurope, Jour de France,
voire,
si lon veut,
Point de Vue Images du Monde,
qui aurait enchanté le parfumeur en chef des rayons desthétiques de la Samaritaine,
que peuvent-ils attendre, donc, dun être à demi nu,
tremblant et fragile,
ahuri par les révélations quil se fait à lui-même,
couvert dautant dhumiliation que durine, de glaires, de salive et détrons,
aussi fragile, en somme,
aussi peu consistant et signifiant face à lUnivers que nimporte lequel dentre les mortels ?
Rien, mon croquignole, ils nattendent rien que laboutissement de tes promesses.
Quai-je fait ?
Rien notre ocre pâtre, rien que de promettre limprobable,
rien que dendosser leurs crimes et les laisser croire à leur pureté,
rien que daffirmer à coups de pistolets pouvoir écarter de leur vie mort, crime, souffrance, oppression, corruption, gris du ciel et pluie du coeur
et tu fais rien quà vouloir mourir pour leur salut,
puis tes coupable,
coupa-bleuh, coupa-bleuh, coupa-bleuh !
chante le choeur des fillettes en robe blanches et aux cheveux tressés de lys,
qui fait la ronde autour du-le Sarzeau,
croquignolant au passage ses virilités dévoyées.
Alors, et parce que
le chant de ces pures
chipies se vrille à
ses oreilles, crève
son crâne, transperce
sa cervelle où se
nichent ses ultimes
défenses, parce que ces
sorcières en socquettes
blanches agitent sous
son nez les fanions
du fanatisme et parce
quil ne peut attendre
aucun soutien de
quiconque, daucune
de ses mille facettes
réunies ici pour le
voir châtié, mêlées
savamment comme au-
tant de phonèmes dun
gigantesque acte dac-
cusation, parce que
des femmes en voilet-
tes noires se jettent à
ses pieds en affirmant
quil - lui - les a tuées, parce que les gars du syndicat haussent les épaules dimpuissance en invoquant la Très Sainte Conjoncture Actuelle, parce que le curé dont la soutane noire racle à nen plus finir le sol mal dallé dune église qui sent le moisi le maudit en lappelant Satan, parce que celui-ci napparaît nullement et que le Christ reste figé dans sa béate posture, parce que le Vert-Peuple accouru au supplice prend les poses lascives et soumises
de ces filles en jarretelles qui naissent un soir au détour dun rêve doux et disparaissent à léveil, parce que les hommes des Jours Tranquilles hissent leurs enfants sur leurs épaules afin quils voient mieux le spectacle, parce que les lézards triomphent et labaissent bien bas, le Messie déculotté et quils vont faire cesser les humiliants prémices au supplice, parce quenfin, Judith a disparu, il dit : « Finissons-en «. Sans force, dans le filtre vocal dune
boule de peine. Et pourtant,
sa voix semble porter
aux confins de lEther,
car lui répondent daussi
loin la valse rouge des
suppliciés, la ronde des
coups, la sarabande des
insultes, la java grisâtre
des regrets, le tango bleu
des virilités atteintes,
la samba écarlate des
plaies béantes, la bourrée
crotteuse, vert caca doie,
ocre et brune du chemin
de croix parcouru à
genoux et le chant glaireux
des putréfactions, dégé-
nérecenses, dégradations, verts-de-gris et poisons lents, gangrènes et mégots de Gitanes sans filtres écrasés dans le fond dune boite de cassoulet froid. Ces mots, en vérité, sont connus depuis toujours. Alors: il faut en finir. Mais on ne peut mourir en Ether ! Telle est la réponse, mon gras agnelet, quelle est la question ? Oh, Jean... Tu es donc venu. Moi, mon agneau grasselet, je men serai voulu davoir loupé ça... Sauve-moi, Jean, sauve-moi !
Tel nest pas ton désir
réel, mon adoré Moi-
même. Jean, Jean,
pourquoi mabandonnes-
tu ? Mais je suis là,
crois-moi. Que vont-
ils me faire ? Eux ?
Oh, je-tu-nous vais-
vas-allons té-
pingler là dessus...
Le supplice ! Il faut,
afin de bien réussir
ces choses-là, un sup-
plicié dimportance,
une colline nue et
noire de monde, des
gardes armés de pré-
férence impériaux, un
ciel geignard bouillo-
nant de menaces ora-
geuses, bien sombre
et tirant sur le mauve,
une croix de bois dur,
( le supplicié, pour
plus dintensité dra-
matique peut porter
la croix dés son en-
trée en scène ), une
atmosphère passionnel-
le aux relents mysti-
ques avec femmes qui
pleurent, un marteau,
trois clous, un peu
de savoir-faire et de
bonne humeur. On peut
ajouter au décorum deux
suppliciés de moindre
importance, tout en
conseillant à nos amis
les bourreaux de ne
pas trop torturer ces
derniers, de les cruci-
fier en retrait et
surtout, surtout de
choisir de sujets
manichéens à souhait
de manière à ce que
les enfants puissent
comprendre ( cette
option na pas été
retenue dans le cas
du présent messie, ni
celle du Saint-Suaire -
une sorte de sweat-shirt
destiné à recueillir les em-
preintes du crucifié - ce afin
déviter la surcharge scénaristi-
que - Nd Chr.off. ), en bref, ne pas
atténuer lintérêt de lattraction prin-
cipale. Comment procéder ? Il convient tout
dabord de livrer le crucifié à la hargne popu-
laire tout en surveillant son état de dégradation.
Quelques hématomes suffisent. Le gros du dépeçage
se fera lors dune parodie de couronnement où seront
rappelées les charges pesant sur le coupable et où quelques
gardes feindront de se soumettre à ses commandements, puis lui cra-
cheront au visage - ce qui provoque toujours son petit effet selon les
bizutés de lEcole Supérieure des Intolérances Religieuses et Civiles
( LESIREC ) la fringante cerise des gâteaux réussis ! la volonté du sujet
doit ramollir jusquà former une pâte souple et fluide. A ce stade vous pour-
rez procéder à la crucifixion proprement dite. Cest très simple : ficelez le su-
jet aux montants de la croix, puis plantez les clous aux poignets et aux chevilles.
Brisez les jambes à coups de bâtons. Laissez faisander. Le secret du Chef ! pour
éviter la perte de conscience trop rapide du supplicié au moment de la mise en croix
clouez-le sèchement et fermement, afin dobtenir
un craquement brusque des os. Ravivez les
plaies à laide dune éponge trem-
pée dans de leau et du vin-
aigre. Vous devez en-
tendre un toc-
toc-crac
net, puis
une plainte.
Mais non.
Alors ?
Alors :
toc-tac,
un cri
et tac
le Cri.
Et toc.
...
Au commencement était le Cri. Pour ce qui est du Verbe, lUnivers dut attendre dentrer au Cour élémentaire première année.
Si il advient que lon rencontre lempereur Razus Aejena, on le trouve beaucoup plus petit et beaucoup plus malingre que ne le laissent présager sa gloire et sa grandeur.
Son palais dAttenderepolis, la cour :
- La Terre, dit lempereur, est une fanfreluche quil plaît de voir pendre à mon chapeau.
Et dagiter son panama du bout de ses doigts griffus pour faire applaudir la cour souriante.
Malingre et pâle : il souffre.
Ici de plaies ouvertes. Nu et tremblant dans une forme non achevée. Il crie.
Là de rancoeurs purulentes. Quand ( et où ) le souffle tiède des langueurs amoureuses damants réunis ( enfin ) lui parviennent. Il crie de même.
Une seule douleur, un seul endroit, un seul instant - où les deux boucles de lAnneau se lient en un coeur doré : le Cri.
CHAPITRE DEUX
Alors Judith sest dévêtue.
- Mets-toi nue, avait dit Jean.
Elle a hésité, fait semblant de ne pas comprendre, sest immobilisée prés du lit, pas très loin de la porte dentrée, elle a scruté Jean par en-dessous, puis elle na plus rien fait dautre.
Ah, si.
Elle a lissé larrière de sa robe avec le plat de ses mains comme le font les femmes quand elles vont sasseoir pour ne rien froisser sous leurs fesses. Mais elle, elle est restée debout. La lueur du vitrail de la cellule monacale a joué des couleurs sur londe de ce bref mouvement. On croit y voir des papillons translucides qui volent au creux des plis du vêtement, une sobre pièce de toile crémeuse qui enceint la femme de son cou jusquà ses chevilles.
Sarzeau déglutit denvie et il doit, pour refouler son impatience, inspirer profondément à sen étrangler presque, à cause de la salive, plus lente et moins fluide que lair qui afflue dans sa gorge serrée.
- Mets-toi nue, a insisté Jean au trouble décroissant, lair macho, repoussant du bout de sa botte une bûche menacée dextinction au coeur du foyer, dans la cheminée pariétale.
Les mains dans les poches, manière de montrer quil attend. Quil attend le dénouement prévu.
Linévitable dénouement que ne fait que reporter Judith, à quelques mètres de là au plus. Sur le conduit renflé de la cheminée, dans le miroir au cadre de bois brut, il se voit beaucoup moins bouffi et joufflu quil ne la été, nimbé dune forte aura au sein de laquelle on discerne une lourde histoire pleine de révélations.
Le regard inquisiteur quil lance à Judith par le biais de la glace veut confirmer que lordre lancé ne souffrira pas de contestation. Cest le seul quil sest permis dadresser à lAnge depuis quils saiment ouvertement - des années-lumière ! - mais cest ce que nécessite la gravité de la situation.
Judith, en effet, a émis un doute.
Judith a dit :
- Il est possible que vous ne soyez pas Jean.
Jean peut tout supporter de Judith, à part le doute à son égard,
cela le fait cruellement souffrir,
or il a suffisamment souffert pour la retrouver ici.
Il y a eu tout dabord linconcevable souffrance du supplice quil subit.
Si peu concevable quil ne la dailleurs pas conçue, comme lannonçaient les Prophéties, il la tout bonnement refusée. Il sest extrait dés que sest approché le sommet des douleurs, de cette enveloppe torturée, misérable et sénile, qui reste, elle épinglée à la croix. A sa place, une chose luisante se tortille, une sorte de ver sanguinolant habillé dun placenta dégoulinant.
Tous les regards sont tournés vers la croix. Toutes les voix vers le Miracle naissant. Il regarde, comme les autres, de ses grands yeux enfantins fascinés par lhorreur. La chose frétille sans arrêt. Apparemment, sur un cycle au rythme défini et répétitif
et lon dit ça et là que la chose est issue du rebelle que lon a crucifié, à quelques minutes de là,
sur la colline de droite, donc - la même, mais un autre exemplaire -
et que la chose ici présente est lempereur. Et ça crie. Un truc terrible qui vous remue les entrailles.
Dans la foule, quelques intellectuels tentent de savoir si lon peut déduire le premier fait du second,
de savoir lequel est le premier, lequel est le second,
à savoir si lempereur naquit du rebelle, ou le Sarzeau de lAejena.
Lui sen moque. Il ne sait pas qui sont Razus Aejena et Jean Sarzeau. Il ignore dailleurs jusquà son propre nom.
Il va sur lautre colline - la même, mais plus loin - ou doit donc se tenir lautre crucifixion, celle du rebelle. Il ne voit toutefois là rien de bien intéressant ; une croix vide sur laquelle on plante trois clous comme si lon avait oublié dy mettre le crucifié.
Une foule excitée, pourtant, comme à la foire du Trône et les mêmes intellectuels se posant les même questions, mais à linverse,
à savoir si le rebelle naquit de lempereur ou lAejena du Sarzeau.
Il constate quil est fatigué. Comme si il avait longtemps marché, ou subi quelque épreuve épuisante. Aussi dort-il. Ni le jour éblouissant des seize heures vingt, ni la rumeur de la foule ne len empêchent.
A son réveil, il voit la même lumière, la même scène, les même personnages et entend la même rumeur, les même répliques, aperçoit la même croix vide et perçoit plus loin le même cri effroyable
et sen désintéresse.
Il a erré. Longtemps ( loin ). Des milles et des milles en une plaine de plus en plus misérable et désertique à mesure que lon senfonce dans un hiver de plus en plus tenace, que lon traverse des printemps brefs et des étés rachitiques.
A lair naïf quil affiche, on applique à cet errant, dans le village
- toujours le même village, mais de loin en loin, de jour en jour -
le quolibet dInnocent. Jean lInnocent.
Ainsi en déduit-il quil sappelle Jean. Comme le rebelle dont les hommes chuchotent le nom sur la place du village,
toujours ce même village quil traverse au cour de son errance,
épuisé,
assoiffé,
tenaillé par la faim,
ce patelin où rien ne change jamais,
sinon quau cours des années quil traverse la situation générale se dégrade,
les maisons délabrées ne sont plus réparées,
les rues sont de plus en plus boueuses,
les habitants de plus en plus faméliques,
les pillards de plus en plus cruels - boutant feu aux toits de chaume qui brûleront à jamais ici. Et vas-y que je ten met pour lAejena, et que je ten rajoute au nom de Sarzeau, une torche pour papa, un incendie pour maman - fait ton deuil petit paysan, fait ton deuil, ya plus rien à voir...
Mais lui, il marche.
Au travers des plaines où, dune année à lautre
- il compte ses pas pour connaître les distances et les heures -
le printemps ne parvient plus à percer, la nature à verdir.
Mais lui, il ne se pose pas de questions.
Chaque chose quil voit est une réponse en soi.
Il fait jour.
Il fait nuit.
Cest un crépuscule. Cest une aurore.
Cest une fleur. Cest un papillon. Cest un champ cultivé. Cest une clairière sauvage. Cest un jour de plus traversé. Cest un rêve et rien de plus.
Cest une limace. Cest un rat, cest un cafard, cest lautomne...
Mais un jour
- à trois kilomètres en amont de ligne du crépusculaire -
un jour où une fête chétive honore une maigre récolte,
où de misérables musiciens aux doigts amputés tentent dextraire de ce jour gris comme les autres des joies au visage terne,
une java grise,
ya eu ce gars solide au visage sympathique quétait assis sur le capot dune Cadillac rose et jaune.
- Jean ! la-t-il interpellé.
Moi ? sest dit, Jean. Puis il sest approché du gars, comme à chaque foi quun quidam lappelle par ce nom pour lui faire laumône, ou pour linsulter, ou pour le frapper afin de se défouler sur plus misérable que soi.
Il a dit, le gars :
- Je temmène.
Il la fait monter dans lautomobile. Cela paraissait familier à lInnocent, bien quil soit persuadé de nêtre jamais monté dans une auto aux sièges de cuir véritable. Ni dans aucune autre auto, tout compte fait. Ni davoir jamais approché de conforts si vastes et si marqués.
Lhomme à la bouille ronde si sympathique ( il souriait toujours et Jean se sentait toujours obligé de lui rendre son sourire ) la trimballé sur un axe différent, dans un désert aux courbes troublantes tant elles étaient captivantes,
aux formations calcaires nombreuses et difformes,
aux canons profonds, sombres et frais, un endroit différent.
- Les choses se dégradent, Jean, a affirmé lhomme après mille kilomètres de voyage silencieux.
- Quest-ce que ça veut dire ? a interrogé Jean.
- Les limaces, les cafards, les rats et le gris du ciel, a répondu lhomme
et Jean a compris ce quil voulait dire.
- La boue, a-t-il dit, le feu aux chaumières, les hommes si maigres... Pourquoi ?
- Parce que le Messie a disparu, a répondu lhomme. Et sais-tu où il a disparu ? Cest cocasse
- Non.
- En lui-même, dans un univers où tout est lui !
- Ca doit être un sacré plaisantin, samuse Jean.
- En effet, sourit lhomme. Mais cela pose un problème grave.
- Ah ?
- Lempereur...
- Ah...
- Lempereur et le Messie ne font quun, vois-tu... Dailleurs, Razus Aejena est un anagramme de Jean Sarzeau... et vice-versa.
- Quest-ce quun nanagramme, linterroge Jean.
- Peu importe... dit lhomme dont la main balaye lair comme pour éventer la question. Ce qui est important, cest de se rendre compte que lun comme lautre ont accès à ce monde
- comme les deux membres dun même couple ont parfois accès au même compte bancaire -
- Ah, oui, opine Sarzeau à qui la métaphore évoque quelque chose de connu sans quil parvienne à se rappeler quoi, et quen labsence de Sarzeau, Aejena tire seul les ficelles, au détriment de cet univers bien sûr, sans quoi lautre ne serait pas le Messie...
- Jy comprend rien, linterrompt Jean.
- Mais si... affirme lhomme. Toi y en a comprendre que le Razus est néfaste, le Jean bon...
- Euh... Oui...
- Je me moque. Mais il est important pour toi de comprendre quil faut retrouver le Messie...
- Une mission, quoi, simplifie Jean.
Le mot mission le fait frémir, lui qui en temps normal ignore les sensations provoquées par les mots ( surtout par les insultes, à vrai dire ).
- En quelque sorte, reprend lhomme au sourire figé comme un trait de sa physionomie. Le problème, cest quune personne chargée dune telle mission pourrait confondre le Messie et les divers aspect de son Moi - nombreux - dont lempereur... Une différence notoire, toutefois, subsiste entre eux : en Ether, lempereur est multiple mais semblable à lui-même dans toutes ses divisions, le Messie est un mais partout différent...
- Et comment vais-je le voir, moi, si cest bien moi qui suis chargé de cette mission de dingue ?
- Tu verras plus loin ce que tu peux voir, énigme lhomme, confirmant tout de même que Jean lInnocent est chargé de ladite mission. Trois personnes, ici, sont unes : Judith, toi et moi.
- Et le Messie ? a demandé Jean.
Mais lhomme sest tu. Comme si Jean avait quelque déduction à en faire. Mais cela le dépasse. Alors il a interrogé lhomme :
- Qui est Judith ?
- LAnge, a répondu lhomme.
- Ah, quil a fait Jeannot. Jen ai déjà entendu parler... Au village, sans doute.
- Sans doute.
Et lhomme na plus rien dit. Mille kilomètres après, Jeannot :
- Pourquoi ma-t-on désigné moi, lInnocent, pour accomplir cette mission?
- Je te lai dit : tu es un ici. Et tu es magicien.
- Moi ?
- Toi.
- Non.
- Mais si.
- Abracadabra, a lancé Jean pour rire.
Et un bouquet de fleur a subitement poussé dans sa main.
Mille kilomètres durant, il a cru que cétait un tour du conducteur,
mais à chaque foi quil y pense,
naît un autre bouquet dans sa main
et puis on a fait huit mille huit cent quatre-vingt huit kilomètres, il ne faut plus sinterroger, mais prendre du repos, aussi sarrête-t-on sur le parking dun motel.
Le tenancier dit :
- Tout est réglé monsieur. Puis-je vous être utile à autre chose ?
...
« Oui, monsieur. A Attenderepolis.
...
« Dix ans à lest, monsieur.
...
« De rien, monsieur... Merci, monsieur, monsieur est trop bon.
On ne lui a pourtant rien demandé... Mais il ne faut plus sinterroger, ni interroger qui que ce soit, il faut se coucher. A léveil - lhomme est sa Cadillac rose et jaune se sont évaporés , le réveil de la sobre chambrette marque bien entendu la même heure quau coucher.
Sarzeau demande au tenancier :
- Combien vous dois-je ?
...
« Ah bon... Oui, sauriez vous me dire où se trouve lAnge ?
...
« Où est-ce, Attenderepolis ?
...
« Ah, dix ans à lest. Merci bien, monsieur...
Et Sarzeau ( parce que tout de même, il nest pas assez stupide pour ne pas avoir trouvé la solution à lénigme de Jean den haut, même que le retour de conscience la fait vomir toute la nuit dans la nature et cest long, une nuit dhiver en Ether ) a laissé au brave homme un billet de dix paradoxes comme pourboire.
... !
Le principal, dans ce genre de choses, cest de garder son sang froid - voire de garder son sang tout court. Parce quil a tout de même dix ans à parcourir avant de retrouver sa Judith
et que ça fait rudement long
( bien plus long quune nuit dhiver en Ether )
même si lon se distrait parfois,
soit en volant des voitures pour aller plus vite,
soit en faisant des tours dillusionniste ici et là,
soit en frisant ladultère en la couche de quelque sirène ou autre nymphettes tout autant tentatrices que sont insistants leurs tétons rutilants
et dans loubli momentané que provoquent tous les autres marasmes, incidents, accidents inhérents aux Odyssées ;
enfin il parvient ici.
Ici.
On appellera cet ici... le Purgatoire, car ça nest ni le Paradis aux plages qui bordent léternel océan, ni cet enfer dont le portier-démon, avant de senflammer, révéla quelques aspects,
ni non plus le plan terrestre où Karola et Sarzeau sembrassent éperdument,
une mise en bouche mutuelle au tanin dun grand Bordeaux,
un gigot tendre et flageolets fondants,
mais froids, maintenant,
sertis dans leur graisse blanche comme des émeraudes dans lombre de la tendre affaire,
vidés, nos agneaux, de leur conscience qui est là.
Ici, cest le coeur de lAnneau,
centre gravitationnel à partir duquel sévasent les deux boucles dor en deux sens opposés - quoique le mot « sens « soit sans valeur en Ether, mais il faut pouvoir décrire une chose aussi complexe que ce Grand Huit en des termes appréciables par nos mains qui palpent la matière et sur nos yeux qui considèrent quaujourdhui est suivi de demain et précédé dhier.
Ici vaquent à perpétuité des Sarzeau et de Aejena ainsi que certaines de leurs connaissances terrestres qui hantent ce décors fantasque ; des combinaisons inattendues, parfois, qui sont des additions des uns et des autres.
Ici se dresse une cité. Une immense cité dont on ne connaît ni le commencement, ni létendue, ni la profondeur, ni la fin. Une ville aux architectures multiples, aux rites et aux coutumes aussi indénombrables que sont les quartiers et les faubourgs, les souvenirs et les désirs des âmes désoeuvrées qui en ont tracé le dessin : il suffit en fait quune volonté quelconque exprime son idée pour que se dresse un nouvel immeuble sur les fondations quoccupe déjà une bâtisse sans quils ne se gênent aucunement.
Ici, on sinvente pour emplir son immuable éternité de petits destins multiples ou de grandes histoires qui durent longtemps,
ou on flotte sans but dans une totale liberté, on est comme accroché par le col à sa moite apesanteur. On attend.
On se joue un destin, puis un autre, quand le premier semble éculé et comme chacun de ces destins est par avance conçu, joué, achevé, commencé, on crée du Paradoxe. Cest monnaie courante et monnaie déchange,
le Paradoxe est la devise dEther.
Le Paradoxe provient de la non-chronologie qui règne ici en maîtresse permanente,
non-chronologie avec laquelle certains savent flirter jusquà en devenir des maîtres. Ils deviennent sorciers, enchanteurs ou magiciens, ils reçoivent des titre nobiliaires à la mesure des paradoxes créés,
princes du dédoublement,
barons de lévasion,
ducs des polymorphies,
rois de limpalpable
et le Très Unique Empereur de lUnivers Absolu.
En fait, tout le monde est plus ou moins mage - chacun patauge à chaque instant dans ces destins simultanés,
dont on ne perçoit que des instantanés, des extraits choisis
et e leurs protagonistes,
un visage, une voix qui sont des points communs à toutes les histoires que lon vit en même temps.
Lhabileté des Maîtres du Paradoxe est révélé par leurs tours de passe-passe avec linconcevable.
Ah ! Ces pirouettes de douleur dans lEther ! Ces volcans qui surgissent de la terre, engloutissent des villes entières quand ils bavent la flamme dun esprit rieur, ces quartiers envahis de cloportes parce quuntel est heureux,
rien nest assez beau,
rien nest suffisant,
rien nest assez fort pour gagner son titre et sa distinction dans ce bordel dâmes ambitieuses aux intentions qui sinterfèrent
et parviennent malgré tout - cest le plus beau des tours - à saccorder les unes aux autres des bouts dinfini!
Mais par dessus tout, on attend.
Dailleurs, cette cité fascinante,
plus impertinente que Babylone,
plus glorieuse que Rome,
plus perspicace quAthènes,
plus misérable que Calcutta,
plus maudite que Salem,
plus brumeuse que Londres,
plus joyeuse que Bahia,
plus grouillante que Tokyo,
plus meurtrie que Beyrouth,
plus divisée que Belfast,
plus folle que Berlin,
plus impériale que Washington,
plus révoltée que Petersbourg,
cette bourgade aux milliards dâmes perdues dans le rien et qui saccommodent de leur patience,
cette ville a pour nom Attenderepolis.
Cest la capitale de lEmpire des bestiaux,
à paradoxe obligé,
celle de toutes les libertés et des plus doux mirages que côtoient dhorribles crimes que lon admet sans plainte.
Cest la cité du plus habile des mages,
lempereur,
tyran aux noirs desseins
- et blancs et gris et verts et roses, comme tout se dément toujours en soi ici ! -
Razus Aejena Premier le Miracle,
Primari Razus Aejena Mirari, son titre bestial,
Pram le Grand pour les intimes.
Il a pris possession de lEther au coeur de la simultanéité, cest à dire, toutes éternités confondues, au centre de lAnneau.
Il a lancé ses lézards
- qui sont des clones de sa propre personne,
pour dire quil a lair dun gros varan, lui -
un petit peu partout, ici et outre Ether,
en Enfer aussi,
parait-il.
Il na pas touché à linnommable temple,
la Blanche Bâtisse,
ni à ses plages sur lEternel Océan.
Certains de dire que cest au-dessus de ses moyens,
dautres daffirmer quil parviendrait à conquérir cela sans peine,
mais que le respect presque religieux quil entretient pour cet endroit est le plus cher de ses paradoxes.
Toujours est-il que nul ne saurait dire comment ce Razus Aejena sy est pris pour pousser si loin lart de manier les Paradoxes, et devenir par conséquent lempereur de ce fichu Absolu.
Cest quà vrai dire, personne na jamais pensé de Pram le Grand quil nest pas la représentation astrale dune personne quelque peu grisée par cette apesanteur enivrante, mais à dire vrais, quil est limage dune certaine idée morte. Ou tout au moins, partie de cette image, la moins brillante.
Jean sait cela.
Il sait à peu prés tout de Razus Aejena, dAttenderepolis,
il possède pour ces deux savoir un immense pouvoir.
Jean sait.
Judith croit.
Karola savait,
Sarzeau imaginait.
Mais ils ont vécu séparément quinze années terrestres dépreuves dans ce non temps
et si anachronique est le monde autour deux,
eux qui ici sont vivants,
eux sont soumis à la chronologie quils savent sur Terre,
sans quaucune vieillesse ne vienne toutefois gripper leurs articulations. Autant dire que caché parmi des hologrammes qui nont dautres soucis que leurs Paradoxes et leur simultanéité, ils sont vécu quinze années de solitude et dincertitude.
Alors aujourdhui est un jour bleu et brillant.
Aujourdhui, cest du mieux que tout.
Tout au moins, aujourdhui serait-il du mieux que tout si Judith qui a appris à croire ne doutait pas face à Jean qui à appris à savoir.
Parbleu ! cest quelle a vu défiler devant elle tant dimposteurs dans la chambrette que lui prêté à létage de sa pension Madame Boyer ! Elle peut un peu se méfier quand débarque devant elle cet Ulysse sans Calypso, ce Christ sans stigmates !
Aussi a-t-elle dit :
- Il est possible que vous ne soyez pas Jean.
Jean a pensé :
Elle ne me reconnaît pas. Ou bien cest une épreuve, encore un jeu tordu de ces maudites Prophéties.
« Ou bien ma-t-elle parfaitement reconnu mais ne veut plus de moi - effroyable songe !
« Ou bien ne suis-je tout bonnement pas moi-même : intrus, faux Sarzeau injecté dans le courant régulier des choses ?
Les mots du doute sont cruels et vicieux.
Ils senfoncent dans la chair de lhomme comme autant de virus sintroduisant par une mince plaie, porteurs programmés de la désintégration de ses certitudes essentielles et il ne serait plus Jean linstant après si il ne doutait pas aussi de ses doutes. Ce virus porte en soi son vaccin : si il doute de lui-même, il doute aussi de ses mots, il senfièvre et il tremble. Sarzeau est un messie perturbé.
Ainsi le premier « mets toi nue « quil lance est une phrase sans conviction, plutôt destinée à lui laisser le temps de se remettre et de dissiper la pénétrante hallucination des papillons translucides sur la robe de la femme,
reprendre son souffle et détourner les yeux,
senfuir dans la dans apaisante du feu de cheminée,
mais face à lui, le mesquin miroir au cadre de bois brut où il se voit dans la même image que Judith. Beaucoup moins bouffi et joufflu quil ne le fut.
Différent.
Rien nest donc moins sûr que sa propre identité ? Même la forte aura quil perçoit distinctement à ses alentours ne lui apporte aucun réconfort, elle peut fort bien parti de lentourloupe dun quidam se prenant pour Sarzeau, en toute bonne foi jusquà ce maintenant précis.
Il crâne en attendant devant le miroir taquin. Son visage ne laisse transparaître aucun des douloureux paradoxes quil couve dans ses entrailles et qui à leur éclosion pourraient bien le rendre assez riche pour racheter Attenderepolis au complet. Lesprit de lhomme travaille étonnement vite, à la mesure de lurgence et fut-il un damné des conjonctures, il nen parvient pas moins à faire le compte rangé des questions qui le ravagent.
« Un, songe-t-il, est-il possible que ma cervelle ait été logée dans un corps qui mest étranger ? Ya pourtant pas dgêne, pas dgrippe dans les rouages. Jcrois qujai juste un peu maigri. Pas dmal à ça, comme quoi ya pas que des vers dans le Livarot.
« Deux, poursuit-il et le " 2 " saffiche en bleu néon sur le fond blanc de sa pensée, ce corps est-il après tout peut-être le mien, mais ma tête est -elle ma tête ? Jen sais trop rien, ma pauv foi ( si cest toutefois la mienne ).
« Trois, déraille-t-il tandis quun trois romain rabougri se surimprime sur sa rétine, je ne suis pas du tout moi. Mais alors qui suis-je ?
« Quatre, rebondit-il sur le IV écaillé dune antique horloge émaillée, je suis tout à fait moi et je nai aucune raison de douter encore.
« Mais cinq, souffre-t-il écartelé sur les cinq branches dun pentacle de craie blanche, si je suis moi, est-elle bien elle ? Pardi ! Faudrait pas qucelle-là soit lun de ces clone impérial qui se font frire du Paradoxe sur mon dos pour graisser la patte des préposés aux Sondages ! Faut quelle se dévête. Cest pas sous ces frusques-là que je reconnaîtrais avec certitude ma Judith... Si toutefois je suis bien Jean Sarzeau.
Jean Sarzeau.
Son nom dit en entier par sa voix dans sa tête, ça éveille son coeur
et ses certitudes
ça fend le coeur de ses certitudes
comme une formule magique répand,
dans les membres dune dormeuse centenaire,
la liqueur bouillonnante de ses charmes mystérieux.
Ca ya pas dlézard ! chante sa pensée comme un coq au matin,
je suis bien Jean et même si yen a qui ont plus souffert que moi,
ce que moi jai subi,
cest bien moi qui lai souffert,
pas un autre.
Ah mais tout de même.
Il a donc réitéré son ordre, mais pleinement déterminé cette fois :
- Mets-toi nue ! a insisté Jean.
Sa voix est douce mais elle est autoritaire. Son regard pointu dans le miroir révoque lhésitation pour laquelle Judith cherche encore des prétextes. Le plus tenace des doutes de la belle enfant pourrait tenir dans une affirmation de poche :
Il nest pas possible quune fille de rien comme moi puisse si soudainement retrouver son bonheur. Ce serait trop beau pour le laideron que je suis en Ether.
En dautres termes, le bel Ange usait toute cette précieuse proximité à douter delle-même plutôt que de lhomme, ce qui revient finalement au même.
Oh, bien sûr, il a dit mets-toi nue et elle ne peut désirer nul autre terme de sa bouche, si toutefois cest bien lui et en supposant quelle soit bien elle.
Mets-toi nue, ce sont les mots quont si longtemps clamées les Prophéties au travers de ses songes, mots clef qui doivent leur permettre de reconnaître au moment fatidique de leurs retrouvailles,
comme cette cicatrice sur la fesse droite Johnny qui revient des Guerres dIrlande lui permet de se faire reconnaître par sa fidèle Elisa. Le soldat unijambiste au visage emporté par un tir de canon se déculotte devant la famille au complet, le notaire, le pasteur qui constatent à tâtons que le cachet du destin est encore bien en place. Une simple servante peut faire laffaire dans certains cas, à condition quelle ait nourri le revenant éreinté à son propre sein quand il était un nourrisson à la peau soyeuse.
Nimporte qui, néanmoins, peut connaître cette phrase clef pour peu quil sache lhistoire de lAnge et de Sarzeau, histoire déjà accomplie alors quon lélabore encore, selon les principes du Paradoxe.
Mais Jean a rajouté en se tournant tout à fait vers elle :
- Naie pas peur, je suis bien moi ! Moi aussi, je vais retirer mes frusques et nous ferons lamour ! Je veux te voir avant.
Alors Judith sest dévêtue.
Parce que nul autre que lunique Jean Sarzeau naurait su tendre larc de son amour comme il vient de le faire avec ces quelques mots.
Parce que nul autre que lui naurait pu assouplir ainsi la raideur de sa défiance,
ni celle de sa foi
- nombre hybrides dici auraient vendu leur Paradis pour une nuit éthérique auprès de la Belle,
Pénélope Nitouche est le nom quon lui connaît en Ether -
parce quaucune autre voix que la sienne naurait pu faire trembler ainsi les membres de son corps astral.
Sa robe crème tombe à terre après quelle ait dégrafée à lépaule dun geste timide mais habitué.
Trifouillis de ses doigts sur les petits boutons de nacre qui clôturent son coquin corset de dentelle blanche,
affolement de ses mains qui libèrent lenclos ses seins parfaitement dessinés et déjà gonflés à lidée quelle touche peut-être au but,
son ventre sans faute entre ses hanches juste assez creuses
et son nombril par-dessus le cordon de jupon de drap brodé,
ce jupon qui glisse sans effort sur ses chevilles minces et révèle ses bas de soie blanche quelle gardera pour séviter dimpudiques abaissements
et sous sa culotte à peine opaque, son pubis doré qui shérisse.
Mise à bas la culotte, Jean fait un pas vers elle,
( la chambrette dune médiévale bourgeoisie nen compte guère plus de trois en largeur ).
- Cest bien toi, murmure lhomme, quelque part entre la nostalgie et la gauche précipitation.
Etrange, toutefois, est la réaction de Judith à son approche :
plutôt que de se laisser saisir par lamour de Jean, elle recule dun pas et se colle au mur de pierre nue,
elle plaque une main sur son sexe
et lautre sur ses seins - quoique dans le compas de son pouce et de son index droit paraisse le téton pourpre de son globe de gauche.
Jean percute de plein fouet ce nouvel obstacle :
mais plutôt que de se laisser saisir par labattement, il sempourpre de colère - du teint blafard de bagnard sibérien quil sest trouvé dans la glace, il passe à un rouge aussi vif que celui du costume denchanteur itinérant quil porte sous sa cape brune de pèlerin pénitent - il savance dun pas encore et il la menace de sa canne levée au-dessus delle.
Cest un ballet rituel, quil ordonne de son sceptre de chêne,
les danseurs en sont les Bêtes qui au rythme de son coeur affolé accomplissent ces figures quon leur connaît,
elles surgissent une à une dun trou circulaire à la tempe
- un martyr prochain,
un stigmate prophétisé -
elles forment une ronde car elles sont bientôt cent,
difformes,
diverses et disparates.
Maître de ballet,
chef dorchestration à la chambre,
lhomme invite dun coup de sa canne sur le parquet les danseurs translucides comme des dentelles à tournoyer, virevolter, valser ou giguer autour dune large auréole invisible quelles tracent autour de lhomme.
Les Bêtes dansent !
Leurs rites incantatoires on sen souvient sont terribles,
déchaînés et sauvages sont les chansons denvoûtement quelles psalmodient de leur voix sans mot,
hypnotiques, enivrant sont leurs sauts à quatre vrilles successives.
Elles frôlent la peau de lAnge
et même,
de cycles en révolutions,
la traversent de part en part
- un jeu délicieux que de plonger pleinement dans sa chair tendre ! -
sans lui causer pour autant la moindre blessure,
Maître Sarzeau peut lui seul désigner linstant propice au sang
et montrer les pièces de la viande délicate quelles peuvent dévorer en glapissant à lagonie ou au trépas de la sacrifiée,
selon la gravité des dommages quelle aura causé dedans lhomme.
LAnge ne trouve rien dans sa foi qui puisse la sauver,
Sarzeau va la tuer.
Peut-être, après tout a-t-il hésité trop longtemps,
à preuve les bouillons de colère qui léchaudent et loubli complet des tendresses,
des affections,
un trou à sa place,
une haine.
Intense.
Voit-il trembler sa main,
sent-il sa gorge le tordre comme un linge à sécher,
lodeur piquante de ses sueurs froides ?
Frappe, lhomme !
Sois toi enfin sans le regard scintillant de ton amour. Sois sans scrupules, cette Judaelle aurait dû te donner si tu ne lavais tuée !
Les scrupules, ny songe pas. Il te suffira de les oublier,
par deux fois,
de grimper au palier supérieur de ta folie :
cest oublier sûrement .
Allons, missionnaire ! Pourfend ta gémelle !
Mission ! Ce souvenir qui revient... Je vais abattre mon sceptre sur son crâne fragile, le fendre, léparpiller en mille parcelles !
Hein ?
Je vais la cogner avec mon bâton !
Ah... Va !
...
Mais quoi ? Tu tarrêtes missionnaire ? Tu ne portes pas ton coup ? Continuez les Bêtes, ne cessez pas de danser, le spectacle doit con-ti-nu-er ! Alors quoi ?
Je...
Quel empêchement tarrête au seuil du meurtre libérateur ? Ca nest tout de même pas lémoi,
lémoi que provoque en lui le masque terrifié à nen pouvoir hurler de la Belle ?
Mais si, mon gars.
Pour lavoir vue une fois apeurée, il y a fort longtemps dans une berline noire qui fend de ses lustres la nuit dune rue bourgeoise et dêtre souvenu davoir trouvé lamour par derrière la peur,
sa puissance sous les jupons de lamour,
sa force aveugle !
Cest bon, les Bêtes, désolé, on arrête. Lincantation se fera sans sacrifices,
les Bêtes de regagner leur vivant berceau, laissant derrière leur frustration un chapelet de râles.
Non, décidément, la magie daucune couleur quelle soit, nest jamais parvenue à ce bien diriger dans les méandreux couloirs de lAmour,
moins bien, par exemple que les coursives biscornues de la cupidité
-surtout si lenchanteur est lui-même amoureux.
Ainsi les sortilèges de Jean,
qui au lieu de comprendre quil veut envoûter,
de réaliser quil veut ensorceler,
croient quil fait appel à la sagesse
et remettent lhomme au rang de la parole :
cest ce quon appelle dans le métier le filtre damour.
Sarzeau détourne son coup de canne sur lédredon du rude lit de nonne.
- Quy a-t-il encore ? crie-t-il à la place dun sort de foudroiement.
- Je... Je crois que Jean - balbutie Judith tremblante - naurait pas agi ainsi...
- Et quaurait-il donc fait que je nai pas fait ! chantonne Jean en faisant valser un petit pot de marguerites fraîches sur le carreau irrégulier de laustère cellule.
- Jean, dit la Belle aux yeux en lair comme si elle cherchait à bien ordonner ses mots, Jean serait entré ici de la plus étrange des manières.
- Comment ? explose lhomme qui frappe à plusieurs reprises le même édredon dont les plumes senvolent par le trou quil y fait. Mais jai emprunté pour venir les portes du néant ! Lascenseur du gratte-ciel dressé sur les mêmes fondations que cette bâtisse ma déposé dans les corridors dun palais Renaissance florentine qui menait à des thermes romaines dans la piscine desquels est plongée cette pièce là ! Je naurai pu entrer plus bizarrement, vrai. Sinon peut-être par la porte !
- Soit, soit, admet la Belle aux doigts qui glissent sensiblement de son pubis à son entrejambe, la fatigue peut-être pousse sa main par-là, peut-être est-ce lémoi qui la fait chercher où ça se tend tout droit. Mais Jean maurait demandé de me dévêtir.
- Quai-je donc fait dautre ? hurle le mage au poing crispé qui fracasse le vitrail dont les petits carreaux de couleurs vives vont faire dautres mosaïques en plus infimes morceaux sur le trottoir den bas.
La lumière soudainement dorée du soleil dEther, après avoir tracé des figures fantasques sur la peau douce de la Belle, léclaire toute en entier et la fait rayonner dor pur dans son si simple appareil. Le désir de Jean sen trouve décuplé, sa rage centuplée de nen pouvoir assouvir.
- Certes, dit la Belle dont la surprise a resserré sa main droite sur son sein de gauche. Je suis dailleurs tout à fait nue... Mais...
- Mais ? orage lhomme au pied qui casse dun coup sec un guéridon de bois léger.
La Belle sursaute à cause du sinistre craquement, elle imagine peut-être ses propres os broyés par lépaisse botte, ou ceux de lhomme - de son Jean - cédant sous les coups du destin.
- Je... Jean, bafouille-t-elle, se serait lui-même dévêtu.
Elle se contracte comme si elle attendait dêtre à son tour violentée, serrant à létrangler son sein de gauche,
ce qui fait sérieusement se friper son téton
et les doigts de son autre main pincent à la faire pleurer ses lèvres den-bas pourtant imbibées de ses sécrétions. Elle-même, si elle pouvait sarrêter pour se regarder vivre, trouverait quelle a une façon curieusement érotique davoir peur et de douter du nom de son compagnon.
Jean ny voit rien ; quant à lui, il a une curieuse façon dêtre en permanence aveuglé par une facette superficielle du présent, lépreuve que lui soumet Judith en loccurrence. Il y marche en plein, le bougre.
- Si ça nest que ça ! jette-t-il den haut. Vous allez être comblée, madame.
Sans ordre, ni pudeur, ni grâce, il retire chacun de ses vêtements,
ses bottes volent dans un coin,
sa cape dans un autre,
son gilet pourpre à langle de ce lit que deux chaînes en biais retiennent au mur de pierre,
ses culotte et lun de ses bas de chausse vont sentasser sur le rebord du vitrail,
le voilà en tricot de peau blanc et caleçons avec un seul bas,
en tricot et en bas,
en bas seulement,
puis plus vêtu de rien sinon de sa propre toison grisonnante ( toujours aussi rare vers le haut de son crâne, mais abondante partout ailleurs ).
- Voilà, quy dit fier comme un jeune homme dans son premier smoking, bras croisés sur la poitrine et menton haut, alors quen vérité il caille velu à la plante de ses pieds.
- Ah, cest bien, dit la Belle à la langue qui lèche ses lèvres den haut. Mais...
- Ah non ! Quoi dautre ? rage Jean qui na plus rien à frapper - sinon elle, si elle insiste - de ses mains désormais vides.
- Cest étrange, mais Jean était plus épais de là, dit-elle en pinçant son ventre de la main qui cachait son sein pour montrer des bourrelets qui ny sont pas.
- Jai perdu, dit Jean pas peu fier, pas mal de poids ces derniers temps. Sur ton coeur aussi, dirait-on, se renfrogne-t-il.
- Non, non, Jean na rien perdu pour moi, proteste-t-elle. Je commettrais une si cruelle erreur, si vous nétiez pas Jean...
- Mes vergetures restantes devraient être assez éloquentes, dit lhomme en passant ses complexes dans le flot de ses craintes.
- Et on aurait presque dit, surajouta-t-elle en pressant ses seins lun contre lautre, que Jean avait de la poitrine.
Jean passe instinctivement sa paume calleuse sur sa cage thoracique - assez blessé de ce souvenir quon a de lui - pour ny trouver que poils et masculine platitude. Il voit la femme devant lui aux seins pressés comme pour offrir à ses lèvres les pointes à goûter,
sa peau dorée sous lambre jaune du soleil dEther,
perlée à quelques endroits dune goutte de sueur,
le bougre,
tout échauffé par la beauté de lAnge,
mais sachant érigé entre eux ce mur de doute en béton désarmant,
sen souvenant brusquement,
il perd toute sa fougue,
ses désirs sévaporent,
il se courbe,
il sabat,
tombe assis sur le lit.
- Je ne sais que dire, madame, vous me découragez, dit-il. Aurait-il donc fallu que je reste lourdaud pour vous plaire ? Un jeune vieillard quil est facile dabuser, nest-ce pas ? Si vous êtes bien cette Judith que je cherche depuis si longtemps, mais me voilà persuadé que vous nêtes pas Judith. Je la cherche depuis fort longtemps, oui, or vous savez sûrement quen Ether le temps se compte en douloureux destins. Je vous laisse, madame, je men retourne errer. Je vous laisse avec votre beauté, car vous êtes fort belle, autant et peut-être plus que ne létait Judith. Mais regardez ce quil advient, malgré votre attrayante nudité quand je songe que vous nêtes pas ma bien-aimée, que lon ma mal dirigé, peut-être trompé à dessein.
Est-elle belle, celle quil pourrait sans peine posséder
- nombreux sont ses sortilèges ! -
mais elle nest pas sienne
tant quelle refuse dêtre elle.
- Adieu, madame, dit-il en ne reprenant de son accoutrement dispersé que sa culotte de drap rouge et sa canne de mage. Je vais voir ailleurs si ma Judith se peut trouver.
Il sourit, amer, puis il conclut :
- Je vais voir ailleurs si jy suis.
Déjà la porte souvre sur les ombres du couloir auxquelles il peut comparer son histoire,
déjà, il met au compte de son errance cette amertume nouvelle,
déjà, il est au fond du couloir et le bout de son pied appuie sur la première marche de lescalier qui descend,
déjà, il sapprête à sortir de son ahurissement et à subir léclat sanglant de cette triste scène,
il sen va pour de bon.
Que vais-je faire, se demande-t-il, ou plutôt, demande-t-il à une sorte de sens divinatoire que lhomme porte en lui. Que vais-je faire de moi ?
Tu vas descendre dans la rue et goûter au vide grouillant dAttenderepolis,
tu iras chez René qui a ouvert un cabaret en ville,
tu feras des tours de passe-passe pour amuser la foule,
tu boiras et tu te saouleras et René te diras :
- Ca suffit, Jean, tu tsaoule pas chez moi,
autoritaire mais prudent,
amical et paternel,
prévenu cette fois.
Fin saoul quand même, tu iras voir Dizzy trompiner de travers,
le Duke pianoter en biais,
à lAttenderes Birdland, une rue plus loin.
Ty trouveras Dexter pour boire un dernier verre
et pisser en choeur sur les poubelles entassées au fond dune impasse.
Dexter te plantera là,
il veut toucher son sax et ça temmerde de tenir la partoche.
Tauras plus quà trouver un dessous de pont pour ty reposer, un porche ou une porte cochère.
Tu marcheras ensuite jusquà demain.
Demain tu verras.
Mais il a déjà endossé demain et il a déjà abordé la deuxième marche de lescalier de son pas traînant dhomme abattu,
déjà,
mais,
reste !
a crié Judith.
Cest un fleuve de sueur qui coule dans le dos de Jean, un océan de larmes sur le visage de Judith pourtant rayonnant dans lencadrement de la porte.
- Reste, a-t-elle insisté.
Et comme il semble hésiter, comme il semble encore douter et comme il va compliquer le sens pourtant si simple de cet appel ultime,
elle ajoute :
- Je suis bien Judith et toi, toi tu es bien Jean.
Fin des espaces au fond dun couloir !
Lun par-dessus lautre,
lun tout prés de lautre,
lautre dans les bras de lun.
- Tu jouais, larmoie-t-il.
- Depuis longtemps déjà, ô, mon immense amour, répond la Belle à la langue clarifiante. Pour truquer nos mises dans le jeu des Prophéties à la trame cruelle et nêtre quà nous...
Alors Jean ne veut plus rien savoir, si elle a joué, si elle joue encore, ce quil doit croire et ce dont il doit se méfier,
cest elle, sa Judith,
de Dieu mon pote,
dont il engloutit les lèvres pour nen plus laisser échapper aucun son articulé.
Cest Judith quil fait valser, virevolter dans une farandole qui na souci dameuter tout le quartier
- un houla-hop chez la Boyer ! -
une danse déchaînée qui consiste en fait à piétiner toutes les douleurs passées
et quune caravane entière déléphants passe par-dessus !
En fin de compte, on les voit bienheureux revenir dans la chambrette, accomplir un dernier paso et arriver, naturellement, sur le lit qui na finalement rien de dur. A croire en une illusion, ce fichu pieux de nonne de tout à lheure. En sa place est un coquet lit de cuivre dressé de dentelles blanches dune toute féminité. Par dessus, un édredon de plumes neuf, dessous, de chatoyants draps de soie de Venise sur un épais matelas de laine en travers duquel Judith est allongée. Ils vont enfin saimer après cent quatre-vingt mois - des milles et des milles - dindigeste abstinence ! Ca y est !
Il faut venger toutes ces douleurs par autant de plaisir,
cest pour dire si ils se déchaînent et hurlent à en faire trembler les murs,
si ils prennent la ville entière à parti pour témoigner de leurs retrouvailles,
cest dire si ils ont besoin quon assiste à leur épousailles païennes !
Au point quils ne prêtent nullement attention au hurlement déchirant qui vient retour des fin-fonds dAttenderepolis. Cest étrange, pourtant, quun événement nouveau, sonore ou visuel, se produisent sans quils aient, eux, bougé de cette case spatio-temporelle.
Ils sont ailleurs, pour sûr,
portés par quelque fleuve doubli en dautres cités,
dextase celles-ci, villes sans murs,
grouillantes, abondantes,
avant que comblés
ils ne sapaisent,
haletants.
Enfin.
Et Judith a posé sur la joue de Jean ce tout petit bisou,
insignifiant presque,
ou qui du moins laurait été si la chambre quelle occupe dans la pension de madame Boyer navait été,
elle,
bâtie au pied dune colline qui surplombe la mer bleue sur laquelle voguent de nombreuses galères, où une foule enjouée comme un rire de Satan se presse autour des agneaux quon grille sur des tapis de braise rouge et savance,
rassasiée,
vers la croix encore vide dressée au sommet du coteau.
Et si la crème de la légion impériale ne tentait pas soudain de les arracher lun à lautre,
alors - après une sanglante bataille que gagnèrent les Bêtes - ils fuient,
amusés et heureux,
vengés mille fois de leurs frustrations amoureuse,
jusquà ce que deux même sélisent les flots de leur passion
et que par un dimanche de septembre,